Douleurs chroniques et dépression : un aller-retour ?
Résumé
Douleurs chroniques et dépression sont fréquemment associées. Leurs liens complexes sont de mieux en mieux documentés. Il est entre autre connu que la dépression s’accompagne d’une augmentation du nombre et de l’intensité des plaintes douloureuses. Réciproquement, la présence de douleurs complexifie le diagnostic et aggrave le pronostic de la dépression. La question de la poule et de l’œuf, souvent posée, reste sans réponse univoque et mérite d’être dépassée. La prise en soins des patients passe par la reconnaissance des diverses facettes de leur souffrance, dans un modèle holistique de type bio-psycho-social, tenant compte de l’irréductible singularité des cas. Les traitements proposés, notamment les antidépresseurs, doivent être un post-scriptum à l’établissement d’un lien thérapeutique.
Définitions
L’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) donne une définition de la douleur qui, bien que souvent répétée, mérite à chaque fois une lecture attentive : Expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite en des termes évoquant une telle lésion. Cette définition a l’avantage de s’ouvrir d’emblée sur la multiplicité des dimensions impliquées, laissant une grande place à la subjectivité. L’appareil sensoriel avec ses détecteurs périphériques, ses connexions, ses modulateurs et son lecteur cérébral complexe n’est pas dissocié de l’appareil encore plus complexe du psychisme. Le dommage tissulaire ou le risque d’un tel dommage, traqué par le système d’alarme de la douleur aiguë, n’est pas forcément présent. D’avantage que cela, il suffit que les termes d’un processus lésionnel soient utilisés pour que l’expérience décrite soit douleur. Bref, est douleur ce que le patient dit être douleur. Enfin, la définition de l’IASP nous rappelle que la douleur n’est pas seulement une expérience solitaire mais qu’elle s’inscrit aussi dans une dimension relationnelle et sociale.
La douleur est dite chronique lorsqu’elle persiste au-delà de trois à six mois. Elle perd dès lors le plus souvent sa fonction d’alarme pour devenir une maladie en soi. Le symptôme devient syndrome. Certains auteurs remettent ainsi en question une définition de la douleur chronique basée sur ce seul critère de durée et proposent plutôt d’envisager le diagnostic dès l’apparition de la douleur s’il y a présence de facteurs de chronicisation.1
La diversité des tableaux de douleurs chroniques est considérable. Il est fréquent de les organiser selon un axe d’organicité des symptômes, c’est-à-dire selon l’importance de la composante lésionnelle identifiée par le bilan pratiqué. A un extrême de cet axe se situent par exemple des patients avec un tableau clinique et radiologique de coxarthrose sévère, pour laquelle une intervention chirurgicale peut être proposée. A l’opposé se trouvent des patients qui présentent des plaintes douloureuses récurrentes en l’absence de toute lésion identifiée. Cet axe d’organicité, cher à la culture biomédicale, n’est pourtant qu’une dimension de la douleur chronique qui ne peut être correctement appréhendée que dans un modèle multidimensionnel. L’organicité des symptômes ne dit en effet rien de leur intensité, ni de la souffrance psychique ou sociale qui les accompagne et qui peut être considérable, que les douleurs reposent sur un substrat organique ou qu’elles restent sans organicité démontrée.
Le concept de somatisation, défini comme l’expression d’une souffrance intrapsychique ou psychosociale dans un langage de plaintes corporelles suivie d’une consultation médicale,2 est fréquemment invoqué pour appréhender les douleurs dont l’étiologie reste peu claire. Pourtant, si la dimension émotionnelle de la souffrance est généralement perceptible par le soignant, elle est souvent non reconnue par le patient, qui reste focalisé sur des plaintes somatiques. Les classifications internationales des maladies qualifient ces tableaux de troubles somatoformes, plus précisément de syndrome douloureux somatoforme persistant3 ou trouble douloureux chronique.4
Le terme de dépression, dans son usage courant, couvre quant à lui également un large spectre clinique avec potentiellement des tableaux très différents. Les classifications internationales des troubles psychiques donnent une définition de la dépression en tant que syndrome. Le tableau 1 présente les critères de la CIM10 qui requièrent, pour le diagnostic d’un épisode dépressif, la présence d’au moins deux symptômes parmi un abaissement de l’humeur, une diminution de l’intérêt et du plaisir et une réduction de l’énergie. Ces symptômes dits majeurs doivent être associés à deux, trois, ou quatre symptômes mineurs permettant respectivement de poser le diagnostic d’épisode dépressif léger, moyen ou sévère. Les symptômes doivent être présents depuis plus de deux semaines mais sans limite supérieure de durée, le terme d’épisode étant utilisé même si la symptomatologie se prolonge. Il y a de légères différences de critères et de terminologie entre la CIM10 et le DSM-IV, ce dernier utilisant le terme d’épisode dépressif majeur, probablement le plus souvent retrouvé dans la littérature.
Il est important de préciser que les échelles couramment utilisées, notamment le Hamilton rating scale for depression(HRSD), le Beck depression inventory (BDI) ou le Hospital anxiety and depression scale (HADS) n’ont pas valeur d’échelles diagnostiques mais seulement d’évaluation et de suivi de la sévérité des symptômes. Certains auteurs parlent pourtant de dépression, en utilisant parfois le terme de dépression mineure, sur la seule base d’une symptomatologie légère mise en évidence par une échelle d’évaluation. D’autres réservent le terme de dépression aux tableaux qui répondent aux critères d’épisode dépressif majeur des classifications internationales. Cette variation d’usage terminologique est importante à connaître pour une bonne lecture des études de la littérature.
Le terme de dépression masquée, non retenu dans les classifications internationales, est encore souvent utilisé pour qualifier des tableaux dans lesquels la symptomatologie affective de la dépression semble occultée par des plaintes somatiques. Les patients concernés ne reconnaissent ni tristesse, ni perte d’envie ou de plaisir mais se plaignent de différents symptômes dits fonctionnels car non associés à des lésions objectivées, le plus fréquemment des douleurs. Le concept de dépression masquée fait en réalité à nouveau appel pour sa compréhension au processus de somatisation et nous ramène à la catégorie des troubles somatoformes.
Ainsi, il existe un clair chevauchement entre certains tableaux de douleurs chroniques sans organicité et certaines formes de dépression sans tristesse. Il reste pourtant logique de considérer que douleur chronique et dépression forment deux entités distinctes. En effet, diverses études de population mettent en évidence que si les patients douloureux chroniques montrent des scores élevés d’insomnie ou d’asthénie, ils ne s’écartent que peu de la population générale pour des symptômes typiques de la dépression que sont la tristesse, la baisse de l’estime de soi ou la culpabilité.5 On ne peut ainsi pas considérer la douleur comme simple symptôme de dépression. Inversement, la dépression n’est pas systématiquement associée aux douleurs chroniques, fréquemment accompagnées de troubles anxieux ou de personnalité.
Épidémiologie
La fréquence de la comorbidité entre douleurs chroniques et dépression va bien au-delà de la cooccurrence attendue de ces deux pathologies, elles-mêmes fréquentes. On retrouve dans la littérature que 20 à 50% des patients atteints de douleurs chroniques présentent les critères d’un épisode dépressif majeur.6,7 L’importante variabilité des prévalences retrouvées semble avant tout liée au cadre de recrutement des patients, les prévalences les plus élevées étant régulièrement retrouvées dans les consultations spécialisées de la douleur. Quoi qu’il en soit, ces prévalences sont bien supérieures aux 5% de dépressions majeures dans la population générale mais également supérieures à la prévalence de dépression retrouvée en médecine de premier recours (10%) ou chez des patients hospitalisés (18%).8
Par ailleurs, une grande étude de population européenne a montré que 50% des patients présentant un épisode dépressif majeur se plaignent de douleurs,9 avec comme facteurs favorisant le sexe féminin, l’âge avancé et le faible niveau d’éducation. Là encore, ce chiffre est bien supérieur à la prévalence moyenne de la douleur chronique retrouvée dans la population générale qui est de l’ordre de 20%.
Liens démontrés
Les rapports entre douleurs et dépression sont complexes et de mieux en mieux documentés. Une importante revue de littérature, effectuée en 2003,10 met en évidence que les patients souffrant de dépression présentent des plaintes douloureuses à la fois plus nombreuses, de plus forte intensité et de plus longue durée que les contrôles. Ainsi, par exemple, un patient déprimé a un risque plus que doublé de souffrir d’une douleur lombaire.11 L’association d’une dépression à un tableau douloureux chronique a également un effet délétère sur les limitations fonctionnelles et l’absentéisme au travail, augmente le nombre de consultations, d’examens pratiqués et donc le coût de la prise en soins. Le nombre de médicaments antalgiques prescrits est plus important alors que leurs effets sont réduits. Chercher à identifier et traiter une dépression associée à des douleurs chroniques tombe ainsi sous le sens.
Réciproquement, la présence de douleurs chez des patients déprimés est associée à une symptomatologie dépressive plus sévère, rend l’établissement d’un diagnostic correct de dépression plus aléatoire et a des répercussions négatives sur son pronostic.12 Le risque de passage à l’acte suicidaire est plus que doublé en présence de douleurs selon les rares études à disposition.13 S’intéresser à la douleur en présence d’une dépression semble donc là aussi indispensable.
La question des liens de causalité
Si la forte association entre douleurs et dépression est bien établie, la question du lien de causalité entre ces deux entités reste très débattue.14
Le fait que la pénibilité de la douleur chronique avec le sentiment de perte de contrôle qu’elle engendre puisse mener à la dépression ne heurte pas le sens commun. Plusieurs auteurs valorisent cette hypothèse sur la base d’études montrant que l’apparition des douleurs précède le plus souvent dans le temps celle de la dépression.15
Envisager inversement la dépression comme cause de symptômes douloureux implique des réflexions plus complexes. Commençons au niveau biologique avec le fait bien établi que douleur et dépression partagent des mécanismes communs notamment une neurotransmission impliquant noradrénaline et sérotonine. La diminution de ces neurotransmetteurs dans la dépression pourrait affecter le fonctionnement des voies corticospinales inhibitrices qui modulent l’activité des neurones nociceptifs de la corne postérieure, menant le patient à ressentir comme douleur des stimuli liés au fonctionnement normal de son organisme.16 Cette hypothèse est cohérente avec les données épidémiologiques citées plus haut mettant en évidence une augmentation du nombre et de l’intensité des plaintes douloureuses en cas de dépression. Bien que plaisante, elle est remise en question par plusieurs études qui montrent de manière contradictoire une élévation expérimentale du seuil de la douleur chez les patients déprimés.17
Outre ces considérations biologiques, la dépression s’accompagne également de modifications cognitives et affectives qui peuvent conduire à une interprétation particulièrement négative, voire alarmiste des sensations corporelles. Cette tendance parfois appelée catastrophisme s’accompagne d’un cortège fait à la fois d’hypervigilance aux symptômes et d’évitement du mouvement qui peut à son tour mener à une amplification de la perception douloureuse.
Enfin, sans développer le concept de somatisation, défini plus haut et emprunté à la psychodynamique, on ne peut oublier les hypothèses impliquant des éléments d’économie psychique. Pour exemple, la dépression est souvent associée à un important sentiment de culpabilité, douloureuse moralement, notamment dans le cadre de deuils insuffisamment élaborés. Il est possible que la douleur ressentie physiquement prenne une fonction autopunitive et soit investie, évidemment le plus souvent inconsciemment, de par le soulagement de culpabilité qu’elle procure. Cette notion, appelée bénéfice primaire du symptôme, aide à comprendre qu’un soulagement trop rapide de la douleur puisse ne pas être systématiquement souhaitable.
Après avoir abordé l’idée que la douleur soit cause de dépression puis la dépression cause de douleur, il faut encore postuler que douleur et dépression peuvent partager des facteurs étiologiques communs. Une plus grande prévalence de troubles de l’humeur chez les ascendants des patients douloureux chroniques a été mise en évidence, en faveur d’une prédisposition génétique commune aux deux troubles.18 Par ailleurs, il est de mieux en mieux établi que des facteurs développementaux, tels que l’exposition à la violence ou à la négligence infantile jouent un rôle central. Un environnement précoce carencé peut compromettre gravement la maturation du psychisme de l’enfant et notamment ne pas permettre, dans les premières années de vie, la différenciation progressive des sensations corporelles et des affects, qui nécessite, pour se faire, une mise en mots par des adultes bienveillants. Les émotions, notamment la colère, peuvent dès lors être éprouvées durablement comme des menaces de destruction physique et être de ce fait fortement réprimées. La maltraitance engendre par ailleurs des failles narcissiques avec parfois un corolaire d’impuissance acquise, conviction de l’individu qu’il ne peut rien pour influer favorablement le cours de son existence. Les événements peuvent alors être vécus avec une passivité apparente qui ne masque parfois que partiellement une importante agressivité. Finalement, la maltraitance précoce compromet également la capacité d’établir des liens objectaux stables, avec notamment une difficulté de faire confiance à autrui qui peut compliquer gravement l’établissement d’un lien thérapeutique. Tous ces éléments constituent des facteurs de risque communs et indépendants de la douleur chronique et de la dépression.19
Prise en soins
Si elles sont indispensables sur le plan théorique, les réflexions ci-dessus ne s’avèrent pas forcément très efficientes pour aborder un patient donné, tenant compte de l’irréductible singularité de chaque situation.
Les patients qui associent des plaintes douloureuses durables et une symptomatologie dépressive plus ou moins criante sont souvent qualifiés de difficiles.
Respecter et légitimer la plainte
Une attitude guidée par le respect du symptôme douloureux, reconnu d’emblée comme pénible, avec une investigation étiologique soigneuse, reste évidemment la base de la prise en soins,20 qu’elle se fasse par un médecin de premier recours ou par un spécialiste. Cette première phase de soins va habituellement déboucher sur la prescription d’une antalgie, voire d’un traitement curatif en fonction de la pathologie organique, dans une perspective biomédicale. Une large place sera donnée à la physiothérapie visant à interrompre le cercle vicieux du déconditionnement physique et de la peur de la douleur. En cas d’effet bénéfique de ces traitements sur la douleur, on observe souvent une régression simultanée des symptômes dépressifs.
Elargir la plainte, aborder la souffrance
Pourtant, il arrive aussi fréquemment que le patient revienne avec des symptômes inchangés, voire avec de nouvelles plaintes potentiellement liées aux effets secondaires des traitements. D’où la nécessité dès le début de la prise en soins d’élargir la plainte douloureuse en se montrant sensible à la souffrance qu’elle peut certes engendrer mais aussi parfois recouvrir. Il ne faut jamais perdre de vue que plus de la moitié des patients souffrant de dépression consultent leur médecin avec des plaintes initialement exclusivement somatiques, majoritairement des douleurs.21 Diverses échelles de dépistage de la dépression peuvent être utilisées, bien documentées et prenant en compte le double écueil de manquer d’identifier la dépression en présence de plaintes majoritairement somatiques ou à l’inverse de poser un diagnostic erroné de dépression sur la base de symptômes pouvant être l’unique conséquence des douleurs.22 Au-delà du choix de l’outil diagnostique, le plus important est selon nous d’inclure dans l’anamnèse une recherche systématique des symptômes dépressifs, basée par exemple sur les critères CIM10 (tableau 1), visant autant à évaluer l’ampleur de la souffrance psychique qu’à établir un diagnostic éventuel de dépression.
Offrir des approches spécifiques
Certains patients seront soulagés de l’opportunité donnée d’aborder leur détresse psychique et rapidement motivés à une prise en soins spécifique, idéalement médicamenteuse et psychothérapeutique.
Les méta-analyses confirment que les antidépresseurs peuvent apporter d’importants bénéfices, tant par leur effet antidépresseur proprement dit que par leur effet élévateur du seuil de la douleur.10 Ils doivent être prescrits en prenant soin de détailler leur indication, leur effet attendu mais aussi leurs effets secondaires. Il est proposé de lire la notice d’emballage avec le patient, car cette dernière mentionne rarement l’indication antalgique.23 Retenons que les tricycliques restent les mieux étudiés pour leur effet élévateur du seuil de la douleur, notamment l’amitriptyline avec unnumber needed to treat (NNT) entre 2 et 3.24 Les molécules plus récentes à double action sérotoninergique et noradrénergique (duloxétine, mirtazapine, venlafaxine) en constituent des alternatives valables alors que les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine ne sont pas un premier choix dans cette indication.
Les techniques de relaxation et l’hypnose, en général bien acceptées parce que laissant une large place au corps et pouvant être pratiquées par tout médecin ayant suivi une formation spécifique, sont également d’un bénéfice reconnu.
Le travail psychothérapeutique, non détaillé dans le cadre de cet article, nécessite quant à lui généralement de référer le patient à un psychothérapeute.
Référer sans rejeter
Pour certains patients, parfois en dépit de la mise en évidence de symptômes dépressifs, toute tentative d’élargissement de la plainte à une souffrance psychique et par-là même toute évocation d’un possible traitement psychothérapeutique ou antidépresseur sera vécue comme un défaut de légitimation de leur douleur.20 La référence à un psychiatre- psychothérapeute ne sera pas aisée dans ces cas. Ces patients risquent en effet de se sentir rejetés, pas pris au sérieux dans leurs symptômes physiques, se présentant avec une recrudescence de plaintes somatiques remettant d’emblée en cause la faisabilité d’un travail psychothérapeutique. D’où un retour à la case départ. Référer le patient pour évaluation à une consultation multidisciplinaire de la douleur est parfois un moyen de contourner cet écueil, le psychiatre y étant intégré d’emblée comme partie d’une équipe dont les divers spécialistes sont présentés sans hiérarchie comme complémentaires, en écho aux multiples composantes de la souffrance du patient. Il est souvent important de rassurer le patient sur le fait que le référer à un spécialiste ne remet pas son suivi en question. Fixer un rendez-vous destiné à résumer et intégrer l’avis du consultant est une démarche qui va dans ce sens.
Ne pas oublier la souffrance du médecin
Il est pour finir important de mentionner que la relation médecin-malade peut s’avérer particulièrement tendue avec certains de ces patients. Les mises en échec thérapeutiques successives exposent en effet les soignants à leurs limites. Il en résulte souvent une souffrance doublée d’un risque de contre-attitudes pouvant prendre la forme d’un rejet (je ne peux plus rien pour vous) ou encore d’un interventionnisme teinté d’agressivité, exposant le patient à la iatrogénie. La participation du médecin à un groupe Balint ou la mise en place d’une supervision psychologique est une aide précieuse pour l’élaboration de ces mouvements complexes.
La détermination d’un setting thérapeutique supportable pour le médecin est également essentielle. Des rendez-vous fixés à intervalles réguliers seront habituellement préférés à des consultations urgentes dictées par les exacerbations douloureuses.
Renforcer le lien
Les pistes ci-dessus, très éloignées de guidelines applicables de manière systématique, doivent avant tout permettre au médecin de renforcer le lien avec son patient. Il faut certes viser d’emblée une réduction des douleurs et des symptômes dépressifs mais aussi et surtout se donner le temps de découvrir la complexité de l’individu et de son histoire. Cette dernière se cache, souvent longtemps, derrière l’irritant simplisme de la plainte douloureuse. C’est à ce prix qu’un certain plaisir pourra progressivement reprendre une place au sein de l’interaction soignant-patient. Celle-ci pourra alors évoluer d’une démarche de soutien bienveillant, parfois prolongée et frustrante vers une démarche thérapeutique passionnante où la complexité de chaque situation n’est plus un inconvénient mais une richesse.
Conclusion
Douleurs chroniques et dépression sont solidement intriquées. L’expérience clinique et les données de la littérature nous mènent à réfléchir à l’association de ces deux pathologies en termes d’influence réciproque, de coexistence ou encore d’aller-retour, plutôt qu’en termes de lien de causalité linéaire.
Une prise en soins empathique avec une investigation soigneuse des symptômes tant douloureux que dépressifs débouche généralement sur des mesures thérapeutiques efficientes.
Certains patients sont pourtant à risque de devenir des nomades, voire des apatrides dans un monde de soins dominé par une culture biomédicale. Ils y sont parfois refoulés par des thérapeutes du corps, lassés d’être mis en échec dans leurs essais de traitement ou embarrassés par leur perception d’une importante détresse psychique. Refoulés parfois également par des psychothérapeutes peu enclins à inclure le langage du corps dans leur vocabulaire. Ces patients trouvent leur meilleure terre d’accueil auprès de médecins tant généralistes que spécialistes, qui savent collaborer entre eux et se détacher de la dichotomie somapsyché. Il s’agit dès lors d’écouter les plaintes de ces patients avec respect, de légitimer leurs difficultés, de valoriser leurs efforts et d’entendre la complexité de leur souffrance pour tenter d’y répondre sans se laisser envahir. Puissent les quelques pistes abordées dans cet article nous aider dans cette lourde tâche.
Implications pratiques
> Douleurs chroniques et dépression méritent d’être systématiquement recherchées. Leur association est fréquente avec des effets réciproques clairement négatifs
> L’investigation soigneuse d’une cause organique au symptôme douloureux doit s’accompagner d’une lecture d’emblée élargie aux dimensions psychiques et sociales de la souffrance
> Un traitement antidépresseur, en priorité tricyclique, peut être envisagé dans ces situations avec une double indication antidépressive et élévatrice du seuil de la douleur
> Le respect et la légitimation des plaintes sont des prérequis pour établir un lien thérapeutique durable
> C’est dans le cadre de ce lien de confiance que peuvent au mieux s’élaborer la complexité de chaque situation et se discuter des approches spécifiques, notamment une démarche psychothérapeutique
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