TECHNIQUES MANUELLES
TECHNIQUES MANUELLES EN RHUMATOLOGIE
Rev Med Suisse 2000;
Résumé
Les techniques manipulatives utilisées en médecine manuelle sont intéressantes pour le rhumatologue et le médecin de premier recours pour diagnostiquer et traiter les syndromes douloureux fonctionnels d'origine mécanique de l'appareil locomoteur. Leur mode d'action présumé sur les mécanorécepteurs articulaires est partiellement confirmé par des études récentes. Les manipulations exigent du praticien un niveau technique élevé et une utilisation fréquente, gage d'efficacité et de sûreté. Les techniques de mobilisations et les thérapies de type neuro-musculaire sont moins exigeantes d'un point de vue technique, plus chronophages, mais leur marge de sécurité est plus élevée dans des mains moins expertes et permettent de contourner de manière élégante les contre-indications absolues ou relatives des manipulations. Toutes ces techniques doivent s'intégrer dans une démarche médicale rationnelle qu'elles ne sont pas destinées à remplacer mais à compléter.
Les techniques manipulatives et en particulier les manipulations vertébrales sont utilisées en médecine depuis de nombreuses années. La Société médicale suisse de médecine manuelle (SAMM) qui compte 1170 membres, a fêté d'ailleurs en 1999 ses quarante ans d'existence. Pratiquées au début uniquement par les ostéopathes et les chiropraticiens américains, ces techniques ont été étudiées, perfectionnées et assimilées puis enseignées par des cliniciens intéressés (James Mennel, Cyriax, Maigne, Caviezel, etc.).
Les techniques manipulatives utilisées par des professionnels de la santé dûment formés ne font pas partie des médecines dites complémentaires mais elles sont une approche visant l'amélioration, par des moyens physiques, des troubles fonctionnels de l'appareil locomoteur, qui peuvent exister avec ou sans atteinte organique sous-jacente et pour lesquels les approches médicamenteuses et physiothérapeutiques traditionnelles ne sont pas satisfaisan-tes. De nombreuses méthodes de mobilisations ont déjà fait leur entrée en médecine de réhabilitation et sont intégrées aux traitements de physiothérapie ; les manipulations sont plutôt utilisées dans le domaine ambulatoire.
Pour poser une indication correcte et effectuer un traitement par manipulation vertébrale, il est absolument indispensable d'avoir acquis les connaissances médicales suffisantes pour établir un diagnostic médical, d'envisager un diagnostic différentiel, et de connaître parfaitement les contre-indications à un traitement manipulatif. Le suivi du patient exige également de savoir reconnaître et évaluer une évolution défavorable ou la survenue de complications, le traitement devrait être effectué par celui qui en pose l'indication et ne pas être délégué à un tiers, ce qui limite l'usage des manipulations aux professionnels disposant de la formation adéquate, à savoir les médecins expérimentés en médecine manuelle et les chiropraticiens. En raison de notre législation, les ostéopathes de formation américaine ne sont pas reconnus en Suisse. Les ostéopathes formés en Suisse, les physiothérapeutes-ostéopathes, les étiopathes, etc. n'ont pas de formation diagnostique et clinique d'un niveau suffisant et ne sont pas pris en charge par l'assurance de base selon la LAMal.
Les indications posées par ces illégaux sont souvent abusives et aident à jeter le discrédit auprès de la profession médicale sur cette forme de traitement.
Définitions
Manipulation
Action délibérée visant à apporter le seg-ment vertébral au-delà de son jeu normal sans dépasser les limites anatomiques, grâce à une impulsion brève et rapide de faible amplitude imprimée au début de la mise en tension (high velocity, low amplitude).
Il s'agit d'une forme de traitement qualifiée de «haut de gamme» exigeant une maîtrise technique élevée et un entraînement régulier pour être efficace et sûre. La durée de l'impulsion est de 30 à 65 msec.5 Elle sera réservée aux praticiens qui l'effectuent fréquemment (au minimum 5 fois par jour). Contrairement à une idée répandue, des manipulations répétées ne provoquent pas de laxité ligamentaire car la traction effectuée sur le système ligamentaire se situe encore dans la zone d'élasticité linéaire, donc réversible (loi de Hooke)
et ne touche pas à la zone plastique.
et ne touche pas à la zone plastique.
Mobilisation
Mouvement passif pur, répétitif, effectué lentement jusqu'à la résistance articulaire ob-tenue en fin de course du mouvement.
Les mobilisations s'effectuent en général dans la même position que celle utilisée par la manipulation, mais de manière répétitive, douce et sans impulsion.
Thérapie de type neuromusculaire
I TNM type 1 : usage des agonistes
I TNM type 2 : étirement musculaire post contraction isométrique
I TNM type 3 : inhibition réciproque des an tagonistes
L'intérêt pour les techniques (thérapie de type neuromusculaire, TNM) ayant leur effet principalement sur la musculature intrinsèque est devenu croissant par le fait que, quoique nettement plus chronophages mais d'une efficacité satisfaisante, elles sont moins exigeantes sur le plan technique que les manipulations et permettent une marge de sécurité accrue dans des mains moins expérimentées.
Indications principales
Les troubles fonctionnels réversibles de l'appareil locomoteur à l'origine de syndromes douloureux répondent bien à ce type de traitement. Par fonctionnel, il faut entendre la présence de désordres mécaniques de certains segments mobiles vertébraux ou d'articulations périphériques dans lesquels il y a une altération de la coordination neuromusculaire par perturbation de la proprioception avec pour effet l'apparition de modifications dans le déroulement physiologique des mouvements sous forme d'une perturbation sélective de la mobilité des segments concernés.
En clair, il s'agit des syndromes douloureux cervicaux, dorsaux et lombaires dits d'origine non spécifique. Le traitement manipulatif doit être associé à une approche rééducative intégrée pour trouver son maximum d'efficacité. L'usage des techniques de mobilisation et des thérapies neuromusculaires permet de contourner bon nombre de contre-indications relatives aux manipulations, sans danger.
Modes d'action présupposés
L'innervation du segment mobile vertébral (selon Junghans), défini par deux vertèbres adjacentes en incluant toutes les structures entre les deux, est assurée par la branche postérieure du nerf rachidien et le nerf récurrent méningé postérieur.
L'origine de la douleur vertébrale est attribuée à la stimulation des nocicepteurs présents dans les capsules articulaires, ligaments vertébraux et autres tissus paravertébraux. L'existence de quatre types de mécanorécepteurs au niveau des articulations postérieures du rachis est bien documentée.3,9,10,12,14 La présence de médiateurs chimiques non neurogéniques (bradykinine, sérotonine, histamine, prostaglandines) et neurogénique comme la substance P, faisant suite à des lésions tissulaires ou inflammatoires locales induit une stimulation nociceptive intense au niveau médullaire avec sensibilisation des cornes postérieures et apparition d'une sensibilisation centrale avec pour conséquence un abaissement des seuils de stimulation (allodynie), une augmentation des décharges spontanées, une réponse facilitée aux afférences sensitives (hyperalgésie), des réponses augmentées aux stimulations répétitives (wind-up) et une extension des champs réceptifs pouvant expliquer la mauvaise localisation clinique des douleurs. La diminution des seuils de stimulation mécanique des mécanorécepteurs au seuil abaissé aurait comme conséquence une augmentation des afférences nociceptives au niveau des cornes postérieures.1,2
Le mécanisme d'action des manipulations paraît complexe, les hypothèses récentes mettent l'accent sur un effet de stimulation des mécanorécepteurs non nociceptifs8 avec un effet inhibiteur sur la transmission des afférences douloureuses au niveau médullaire par l'intermédiaire du «gate-control». Des expériences sur les articulations postérieures lombaires du chat apportent des éléments intéressants dans ce sens en montrant la réponse des afférents sensitifs des groupes III et IV à des manipulations expérimentales11 de même que la stimulation des articulations postérieures lombaires du porc montre un effet segmentaire sur le multifidus, agoniste principal de la musculature intrinsèque lors du couplage de la rotation dans les mouvements de latéroflexion.7 L'effet sur le tonus musculaire segmentaire par l'intermédiaire du système gam-ma semble se préciser comme le montrent les changements obtenus sur les SEP et l'EMG.6, 15
Etudes cliniques récentes
Une étude intéressante4 portant sur des patients souffrant de hernie discale avérée a montré que ceux qui présentaient un syndrome sacro-iliaque surajouté bénéficiaient du traitement manipulatif de ce syndrome et obtenaient de meilleurs résultats de la réhabilitation conventionnelle, donc moins d'interventions chirurgicales. Les auteurs concluent qu'il vaut la peine de soumettre tous les cas de hernies discales à un examen de médecine manuelle à la recherche d'un syndrome sacro-iliaque dans le but de le traiter, ce qui pourrait éviter un certain nombre d'interventions.
En Suède, une étude clinique sur une population de lombalgiques, multicentrique et randomisée, comparant les résultats et l'économicité des traitements dispensés par des chiropraticiens utilisant presque exclusivement des manipulations et des physiothérapeutes faisant usage de toutes les modalités de physiothérapie active et passive, sans formation en manipulation, a montré des résultats comparables, tant sur le plan de l'efficacité que sur les facteurs économiques. Une analyse par sous-groupe démontre de meilleurs résultats du traitement des chiropraticiens pour les cas aigus de moins d'un mois et des résultats légèrement plus favorables pour les cas chroniques traités par physiothérapie.13
La médecine manuelle, qui intègre ces deux approches, peut donc se profiler favorablement pour les deux indications.
Une publication récente fait état d'une étude, dans le cadre d'un HMO de Chicago, sur des patients souffrant de lombalgies d'une durée minimum de trois semaines, qui compare un traitement allopathique standard avec un traitement ostéopathique comprenant l'utilisation de techniques des tissus mous et des manipulations. Les résultats sont comparables sur les paramètres de la douleur, de la fonction et de la satisfaction, cependant, la faible consommation d'AINS et l'utilisation moins fréquente de thérapie physique du groupe qui a reçu le traitement ostéopathique est nettement plus économique et, selon les auteurs, à moindres risques, compte tenu des effets secondaires des AINS.16
Conclusion
Les thérapies manipulatives utilisées à bon escient sont d'un apport intéressant en rhumatologie mais aussi pour la pratique de la médecine générale, dans la grande majorité de ces syndromes dont l'origine spécifique ne peut être précisée et qui échappent à la classification des affections rhumatologiques organiques. L'approche diagnostique est enrichissante et permet de mieux cibler les examens complémentaires. Lorsque les indications sont respectées et que la maîtrise technique est suffisante, les dangers sont relativement restreints et les résultats intéressants et économiques. Ce n'est pas parce que tous les tenants et aboutissants ne sont pas explicables ou démontrés de manière irréfutable qu'il ne faut pas s'intéresser à ce type de traitement, mais cela ne doit pas être non plus une porte ouverte pour toutes sortes d'indications fantaisistes qui sont principalement l'apanage des illégaux.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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12 Roberts S, et al. Mechanoreceptors in intervertebral discs morphology, distribution and neuropeptides. Spine 1995 ; 20 : 2645-51.
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