Vitamine D
Aspects thérapeutiques de la vitamine D : quels taux cibler avec quels traitements ?
Rev Med Suisse 2012;2066-2071
Résumé
Les résultats des essais randomisés contrôlés et des méta-analyses étudiant les effets de la supplémentation en vitamine D sur les chutes et les fractures sont divergents. Le taux sanguin optimal de 25(OH) vitamine D pour la santé musculosquelettique et globale est ≥ 30 ng/ml (75 nmol/l) pour certains experts et ≥ 20 ng/ml (50 nmol/l) pour d’autres. Il est préférable de prendre une dose quotidienne de vitamine D plutôt que des hautes doses intermittentes pour atteindre ce but. Une haute dose annuelle pourrait augmenter le risque de chutes et de fractures. Des taux sanguins élevés sont probablement dangereux pour la santé musculosquelettique et globale. Finalement, le bénéfice optimal pour la santé musculosquelettique est obtenu avec 800 UI/jour et un taux sanguin proche de 30 ng/ml (75 nmol/l).
Introduction
La vitamine D est devenue la star des publications scientifiques et fait l’objet de nombreux débats. Afin de déterminer au mieux les taux sanguins cibles de vitamine D et les dosages optimaux pour y parvenir, s’appuyer sur les essais randomisés contrôlés (ERC) et idéalement sur la plausibilité physiopathologique est une nécessité. Depuis la démonstration en 1992 de la prévention de la fracture non vertébrale par une supplémentation en calcium et en vitamine D,1 la recherche sur la vitamine D s’est attachée presque exclusivement à la santé musculosquelettique. En parallèle, un déficit en vitamine D a été mis en évidence dans au moins 50% des populations étudiées.2 A partir de 2007, de nombreuses études épidémiologiques ont trouvé une association inverse entre des taux sanguins (normaux ou) élevés de vitamine D et le risque de développer différentes pathologies : les maladies cardiovasculaires et métaboliques, le diabète, les maladies immunes et oncologiques, les néphropathies, les maladies psychiatriques, la démence, la mortalité en général. De là à proposer une supplémentation à toute la population et si possible à haute dose, il n’y a qu’un pas que beaucoup souhaiteraient franchir. Comment peut-on imaginer une pilule miracle, bon marché, sans effet secondaire, dont plus on augmente la dose plus on en retire de bénéfice ! Il faut savoir raison garder. Il existe probablement un effet de mode dans lequel se sont engouffrés tous les grands journaux médicaux avec probablement un biais de sélection dans les publications, excluant les études négatives. Il existe aussi un facteur émotionnel qui a fait basculer nombre d’auteurs de la science à la croyance. Dans ces derniers travaux, la vitamine D est probablement un marqueur de l’état de santé plutôt qu’un facteur causal. Il existe encore trop peu d’ERC d’intervention dans ces domaines. Des analyses indirectes (critères de jugement secondaire, analyse post hoc), faites dans le domaine cardiovasculaire et le diabète, ne montrent pas de bénéfice à la supplémentation en vitamine D. Par ailleurs, les rares ERC d’intervention faits à petites échelles ne montrent pas non plus de bénéfice à une supplémentation en vitamine D.
Notre revue de la littérature ne se veut et ne peut être exhaustive au vu de l’abondance dans ce domaine ; elle va s’attacher aux données objectives en lien avec la santé musculosquelettique, sans omettre quelques données intéressantes touchant la santé autres que musculosquelettique.
La vitamine D prévient-elle les chutes et les fractures ?
En 2009, il existait déjà dix-sept ERC pour neuf méta-analyses (MA) avec la chute comme critère de jugement primaire, 22 ERC pour 14 MA avec la fracture non vertébrale comme critère de jugement primaire.3 Depuis le nombre de MA a encore augmenté, celui des ERC très peu. Les conclusions des MA divergent pour se prononcer sur la présence ou l’absence d’un bénéfice. Si bénéfice il y a, il est parfois limité à certains sous-groupes : prise concomitante de calcium, population plus âgée, population institutionnalisée. De petites nuances méthodologiques permettent de ne jamais sélectionner deux fois les mêmes études, ou mieux, selon les auteurs, telle étude de mauvaise qualité pour l’un, est d’excellente qualité pour l’autre. Même le prestigieux New England Journal of Medicinevient de répondre aux sirènes de la vitamine D et a accepté de publier une «pooled analysis».4 Onze études ont été retenues en 2012, alors qu’en 2009 il existait déjà 22 ERC ! Que dire des résultats de cette analyse et des MA ? Il semble impossible de tirer des conclusions unanimes dès que l’on s’intéresse aux aspects pratiques. La vitamine D prévient les chutes et les fractures chez les personnes de 65 ans et plus, avec une réduction du risque oscillant entre 0 et 30%. On le savait déjà. Quel taux sanguin de vitamine D viser ? Quelle dose de vitamine D administrer ? Sous quelle forme ? On ne le sait toujours pas.
Quel taux sanguin idéal pour la vitamine D ?
Classiquement, on parle de taux normal pour une 25 OH vitamine D > 30 ng/ml (> 75 nmol/l). Ce seuil a été établi sur la base de deux ERC datant de 1992 et 2003 démontrant une diminution du risque de fracture de la hanche chez les personnes de 65 ans et plus.5 Pour certains auteurs, on parle d’insuffisance entre 10 et 30 ng/ml (25-75 nmol/l) et de carence lors de taux < 10 ng/ml (< 125 nmol/l). D’autres auteurs proposent 20 ng/ml (50 nmol/l) comme seuil pour la carence, et des valeurs entre 21 et 29 ng/ml (51 et 74 nmol/l) pour définir l’insuffisance.6 Il importe d’intégrer à la fois les liens physiologiques, les données des ERC sur les bénéfices musculosquelettiques et épidémiologiques pour appréhender ces différents seuils.
Calcium, parathormone, densité minérale osseuse
Dans les études transversales, on minimise le risque d’hyperparathyroïdisme secondaire lorsque le taux de vitamine D excède 30 ng/ml (75 nmol/l), obtenant alors une courbe en plateau (la parathormone (PTH) ne diminue plus). Dans les études interventionnelles, on ne modifie pas le taux de PTH en donnant de la vitamine D à des personnes ayant un taux de vitamine D ≥ 20 ng/ml pour certains, ≥ 30 ng/ml (75 nmol/l) pour d’autres auteurs.7 Dans une étude plus récente, la PTH continue à diminuer jusqu’à des taux de vitamine D proches de 45 ng/ml (112,5 nmol/l).8 Cependant, la dose quotidienne de calcium n’est pas précisée dans ces études, alors qu’il existe une corrélation inverse entre calcémie et PTH.
Avoir un taux sanguin de 25 OH vitamine D élevé pourrait améliorer l’absorption digestive de calcium. Une étude récente montre qu’en augmentant les taux sanguins de vitamine D de 10 à 66 ng/ml (25 à 165 nmol/l), l’absorption de calcium augmente de 6% en valeur absolue, passant de 52 à 58%. Ce mécanisme lié à la malabsorption du calcium est donc négligeable dès que les taux de vitamine D sont > 10 ng/ml (25 nmol/l).9 La malabsorption apparaît quand il y a un manque de 1,25 OH vitamine D, survenant lors de manque de substrat, soit un taux de 25 OH vitamine D < 10 ng/ml (25 nmol/l).10 A ce niveau, l’hydroxylation en position 1 de la vitamine D devient insuffisante malgré l’hyperparathyroïdisme secondaire.
Le calcium et la vitamine D ont un effet modeste sur le gain de densité osseuse et il n’est pas certain que la vitamine D seule ait le même bénéfice. Les études épidémiologiques montrent une perte osseuse plus importante si les taux sanguins sont < 20 ng/ml (50 nmol/l).7 Dans une revue récente sur ce sujet, les auteurs concluent qu’un taux > 20 ng/ml (50 nmol/l) est optimal pour la densité minérale osseuse.11
Prévention des chutes et des fractures non vertébrales
S’agissant de la prévention des chutes évaluée dans les ERC, elle est significative lorsque l’on obtient des taux sanguins de 26,4 ng/ml (66 nmol/l).12 Par contre, cette prévention n’est plus présente pour des taux > 34 ng/ml (85 nmol/l).12 Toujours dans les ERC, la prévention des fractures non vertébrales est obtenue avec un taux de 29,6 ng/ml (59,2 nmol/l), la prévention de la fracture de la hanche avec un taux de 30 ng/ml (75 nmol/l).5 Une analyse de méta-régression sur la prévention des fractures non vertébrales et de la hanche donne des résultats contradictoires entre les doses de vitamine D administrées (cf. ci-après) et les taux sanguins mesurés.13 Soit les dosages sanguins ont été faits sur une partie du collectif, ou alors des problèmes analytiques sont survenus, ou différentes méthodes de dosage sont comparées (cf. article du Dr O. Boulat et coll. dans ce même numéro). L’exemple suivant corrobore les explications ci-dessus : avec 640 UI/jour, on obtient un taux de 32 ng/ml (80 nmol/l), avec 651 UI/jour 44,8 ng/ml (112 nmol/l), et avec 664 UI/jour 31,2 ng/ml (78 nmol/l). On conclut qu’une dose de vitamine D entre 640 et 664 UI/jour est optimale. Par contre, pour le taux sanguin optimal, on peut conclure soit qu’il est voisin de 30 ng/ml (75 nmol/l) ou alors qu’il devrait être de 45 ng/ml (112 nmol/l)(! Dans une ERC récente, administrer chaque année 500 000 UI de vitamine D était associé dans les trois mois suivant la prise à un risque accru de chutes et de fractures, et à une absence de bénéfice entre les mois 4 et 12).14 Dans cette étude, les taux sanguins étaient à 19,6 ng/ml (49 nmol/l) au début de l’étude, augmentaient à 48 ng/ml (120 nmol/l) un mois après la prise des 500 000 UI de vitamine D, puis restaient aux environs de 30 ng/ml (75 nmol/l) entre les troisième et douzième mois suivants. Ces résultats font poser la question d’un taux sanguin de vitamine D à ne pas dépasser, en raison d’un risque délétère potentiel. Il faut relever que dans cette étude les patients ne recevaient pas de calcium.
Données épidémiologiques
Les grandes études épidémiologiques portant sur la prévention oncologique ou la santé cardiovasculaire sont des analyses transversales divisant les collectifs en tertiles ou quartiles selon les taux de vitamine D. Les groupes avec les taux les plus hauts (> 30 ng/ml ou 75 nmol/l) sont comparés aux groupes ayant les taux les plus bas (< 10 ng/ml ou 25 nmol/l). Il en ressort le plus souvent un bénéfice en termes de santé pour les personnes ayant les taux les plus hauts. Cependant, dans plusieurs de ces études, le bénéfice s’observe aussi pour les personnes ayant des taux > 20 ng/ml (50 nmol/l) lorsqu’ils sont comparés aux personnes avec des taux < 10 ng/ml (25 nmol/l). Il est intéressant de noter que certaines de ces études épidémiologiques montrent que le lien entre taux sanguin de vitamine D et la survenue d’événements de santé est une courbe en J, signifiant que lorsque les taux sanguins sont bas, le risque d’avoir l’événement est élevé, lorsque le taux est optimal, le risque est le plus faible, et lorsque le taux de vitamine D augmente au-dessus du seuil optimal, le risque d’avoir un événement de santé augmente légèrement. Prenons des exemples tirés de quatre études épidémiologiques incluant des cohortes suivies prospectivement. Pour la prévention de la fragilité chez la personne âgée, le seuil optimal se situe entre 20 et 30 ng/ml (50 et 75 nmol/l),15 pour la prévention de la mortalité oncologique, il est entre 30 et 36 ng/ml (75 et 90 nmol/l),16 pour la prévention de la mortalité globale entre 30 et 40 ng/ml (75 et 100 nmol/l).17 La quatrième étude s’intéresse aux événements composites : fracture de la hanche, infarctus du myocarde, survenue d’un cancer et décès.18 Des seuils idéaux différents ont été trouvés en fonction des saisons : 18 (hiver), 21 (printemps), 24 (été), et 23 ng/ml (automne) (respectivement 45, 52,5, 60 et 57,5 nmol/l). Une méta-analyse paramétrique portant sur le risque de décès en fonction du taux sanguin de vitamine D a été effectuée sur onze cohortes prospectives incluant 62 548 participants.19 5562 décès sont survenus durant le suivi. Il s’agissait avant tout de populations âgées et la mortalité considérée était ou globale ou d’origine cardiovasculaire. Une courbe en J a été retrouvée avec un maximum de réduction du risque de mortalité vers 31-35 ng/ml (77,5-87,5 nmol/l). La réduction du risque de mortalité n’était plus significative pour des taux > 45 ng/ml (112,5 nmol/l).
Que retirer pour la pratique quotidienne ?
Ces différents résultats laissent suggérer : a) le taux optimal de vitamine D se situe entre 20 et 30 ng/ml (50 et 75 nmol/l) pour la santé osseuse ; b) il existe probablement un taux «toxique» au-dessus duquel le risque de survenue d’événements de santé ou de décès augmente, soit aux environs de 40 à 45 ng/ml (100 à 112 nmol/l) et c) il existe une zone grise entre 30 et 40 ng/ml (75 et 100 nmol/l) où le risque de certains événements pourrait encore être prévenu, mais le risque d’autres événements pourrait commencer à augmenter, mais de façon faible.
Aux Etats-Unis, l’Institute of Medicine, qui définit les apports alimentaires idéaux pour qu’au moins 97,5% de la population atteigne l’objectif, propose 20 ng/ml (50 nmol/l) comme seuil idéal pour la population générale.11 Par contre, les «défenseurs de la vitamine D», pour qui des taux sanguins élevés ne sont pas associés de façon significative à des effets délétères, proposent un seuil idéal entre 30 et 44 ng/ml, voire même pour certains entre 30 et 100 ng/ml (75 et 250 nmol/l) !20 Ils mettent dans leurs réflexions sur un même pied d’égalité les données épidémiologiques portant sur la santé non musculosquelettique et les ERC traitant des chutes et des fractures. Pour ces «défenseurs», ce seuil ne concerne pas la population générale mais la population à risque sur les plans musculosquelettique, cardiovasculaire, oncologique, immunologique, etc. Autant dire toute la population !
Comment y parvenir ?
Doses quotidiennes
La littérature médicale est unanime pour privilégier la prise quotidienne de vitamine D à une prise élevée intermittente. Aux Etats-Unis, l’Institute of Medicine recommande 400 UI/jour durant la première année de vie, 600 UI/jour entre 1 et 70 ans et 800 UI/jour après 70 ans comme doses idéales pour la santé.11 Plusieurs auteurs proposent des doses d’au moins 1500 à 2000 UI/jour, voire 1800 à 4000 UI/jour afin d’obtenir un taux sanguin d’au moins 30 ng/ml.6
La courbe dose-réponse de la vitamine D est mal connue. Il est souvent dit qu’il faut 100 UI/jour pour augmenter le taux sanguin de 1 ng/ml. Une étude dose-réponse a été effectuée chez 163 femmes de 67 ans en bonne santé ayant un déficit en vitamine D (< 20 ng/ml, valeur moyenne : 15,3 ng/ml ou 38,25 nmol/l).8 Elles ont reçu pendant un an le placebo, 400, 800, 1600, 2400, 3200, 4000, ou 4800 UI/jour de vitamine D. On obtient la même réponse à six ou douze mois avec une courbe dose-réponse formant un plateau à 44,8 ng/ml (112 nmol/l) à partir de 3200 UI/jour. Avec 800 UI/jour, on obtient approximativement une valeur moyenne de 30 ng/ml (75 nmol/l), avec 1600 UI/jour 35 ng/ml (87,5 nmol/l), avec 2400 UI/jour 40 ng/ml (100 nmol/l). Si l’on part du principe qu’une supplémentation quotidienne fixe ne requiert pas de dosage sanguin de contrôle, il faut se poser la question non seulement des taux moyens, mais également des taux sanguins minimaux et maximaux que l’on peut tolérer. On pourrait accepter une fourchette entre 20 et 45 ng/ml (50 et 112 nmol/l). Avec des doses de 400 ou 800 UI/jour, une seule personne a des taux < 20 ng/ml (50 nmol/l). Avec des doses de 2400 UI/jour, trop de personnes ont des taux > 45 ng/ml (112 nmol/l). La dose idéale se situerait donc entre 400 et 1600 UI/jour. La modélisation faite par les auteurs prédit un taux > 20 ng/ml (50 nmol/l) chez > 97,5% de la population avec des doses de 600 à 800 UI/jour.8 Les femmes avec un IMC ≥30 par rapport aux femmes avec un IMC < 25 avaient une valeur de 25 OH vitamine D inférieure de 7,1 ng/ml (17,75 nmol/l). Il leur faut donc une dose plus élevée de vitamine D pour atteindre l’objectif fixé.
S’agissant du bénéfice antichute, dans la méta-analyse de Murad et coll., il est le même avec > 600 ou ≥ 800 UI/jour.21 Dans une autre méta-analyse, le bénéfice est obtenu avec 800 UI/jour, mais pourrait disparaître avec 1000 UI/jour.12 Une autre étude a montré l’absence de bénéfice antichute de 2000 UI/jour par rapport à 800 UI/jour chez des patients ayant eu une fracture de la hanche, parlant contre un effet dose-réponse.22
Dans une analyse de méta-régression, le bénéfice antifracturaire non vertébral est obtenu avec des doses > 400 UI/jour avec un effet dose-réponse.13 Cependant, l’analyse des différents points de la courbe montre un bénéfice avec 482, 640, 651 et 664 UI/jour, mais une absence de bénéfice avec des doses de ≥ 700 UI/jour (en tenant compte d’une compliance à 80%). Dans une revue non exhaustive du même auteur, le bénéfice antifracturaire est obtenu pour des doses ≥ 792 UI/jour.4 Il est cependant intéressant de constater que dans les six études sélectionnées, une seule est positive en ayant utilisé 800 UI/jour 1 et qu’une autre ayant comparé 800 et 2000 UI/jour n’a pas montré de différence entre les deux doses.22
Considérant l’ensemble de ces données et réflexions, tout en excluant les spéculations sur le bénéfice éventuel des hautes doses de vitamine D sur la santé non musculosquelettique, un supplément de 800 UI/jour semble la dose optimale pour la prévention des chutes et des fractures non vertébrales.
Hautes doses intermittentes
Administrer des hautes doses intermittentes est une pratique courante et très appréciée, permettant une compliance optimale à un prix très modique. Ceci se fait pour les patients présentant des valeurs basses de vitamine D, ou ayant une prévalence élevée de valeurs basses, classiquement les patients hospitalisés avec une fracture. Un travail a été réalisé dans notre service auprès de 200 hommes et femmes d’environ 75 ans (40-100 ans), hospitalisés pour une fracture ostéoporotique. Ils avaient des taux sanguins de vitamine D à 16,7 ng/ml (41,75 nmol/l), et près de 40% d’entre eux un taux < 10 ng/ml (25 nmol/l).23 En raison de la disponibilité d’une seule modalité d’administration sur le marché suisse (vitamine D Streuli 300 000 UI), c’est cette dernière qui est largement utilisée. Les rares travaux existants ont montré que la réponse en termes de taux sanguins était imprévisible, même lorsque la prise se faisait dans des conditions optimales (sous supervision avec un aliment gras). Lorsque l’on donne cette dose à une population de patients rhumatologiques ne prenant pas de vitamine D, ayant des taux > 10 et < 30 ng/ml > 25 et < 75 nmol/l, 40% ont un taux > 30 ng/ml (moyenne 36,7 ng/ml ou 91,75 nmol/l) à trois mois, et environ 20% (moyenne 34,8 ng/ml ou 87 nmol/l) à six mois.24 Dans ce travail, une corrélation inverse a été retrouvée entre les taux sanguins initiaux et la réponse à trois mois. Plus bas était le taux sanguin initial, plus grand était le gain en valeur absolue à trois mois. Nos collègues français ont l’habitude de travailler avec des doses orales intermittentes de 100 000 et de 200 000 UI. Un des schémas préconisé est de donner une ampoule de 100 000 UI de vitamine D3 tous les quinze jours en fonction du taux de départ : quatre ampoules pour un taux < 10 ng/ml (25 nmol/l), trois entre 10 et 19 ng/ml (25 et 47,5 nmol/l), et deux entre 20 et 29 ng/ml (50 et 72,5 nmol/l). En appliquant ce schéma, 77% des patients avaient un taux > 30 ng/ml (75 nmol/l) après un mois, 55% après deux mois et 46% après trois mois.25 Ces différents résultats montrent qu’après une supplémentation initiale à haute dose, il faut donner des doses régulières de vitamine D.
S’il existe un risque à donner une très haute dose de vitamine D (500 000 UI) chez des patients ayant des taux moyens à 19,6 ng/ml (49 nmol/l), ce risque n’existe peut-être pas chez des patients ayant de fortes carences. Dans une autre étude dont 75% des patients avaient des taux ≥ 30 ng/ml (75 nmol/l) (!), l’administration de 300 000 UI IM versus placebo (sans supplément de calcium) n’a pas montré de différence en termes de survenue de chutes ou de fractures non vertébrales.26 Il y avait cependant un risque accru de fracture de la hanche et du fémur pour celles et ceux ayant reçu la vitamine D. Par contre donner 100 000 UI de vitamine D par voie orale tous les quatre mois à une population de 75 ans et plus en bonne santé permet de réduire le risque de fractures cliniques.27 Il faudrait donc idéalement travailler avec des doses de 100 000 ou 200 000 UI. Cependant, il n’est pas démontré que des doses de 300 000 UI soient délétères chez des patients ayant des taux < 10 ng/ml ou < 20 ng/ml < 25 ou < 50 nmol/l). L’absence de supplément en calcium dans les études ayant montré un effet délétère doit être gardée à l’esprit.
Conclusion
Pour l’heure, le bénéfice de la vitamine D a été très bien documenté sur la santé musculosquelettique permettant de réduire le risque de chutes et de fractures non vertébrales de 0 à 30% selon les groupes de patients analysés. Une supplémentation d’environ 800 UI/jour donne ces résultats. Les taux sanguins optimaux de vitamine D se situent aux environ de 30 ng/ml (75 nmol/l) et sont obtenus avec 800 UI/jour. Il n’existe pas assez de preuves pour proposer actuellement un taux cible > 35 ng/ml (87,5 nmol/l), d’autant plus que des taux sanguins élevés sont probablement associés à un risque accru de chutes et de fractures. Pour parvenir à la cible souhaitée, il est préférable de donner des doses quotidiennes de vitamine D plutôt que des hautes doses intermittentes. Des études d’intervention randomisées contrôlées sont en cours pour évaluer l’effet de la vitamine D sur la santé plus globale, notamment oncologique et cardiovasculaire. Il est prématuré de prescrire de la vitamine D pour la prévention de ces événements.
Implications pratiques
> Les raisons de donner de la vitamine D sont à réserver pour l’heure à la préservation de la santé musculosquelettique. L’équivalent d’environ 800 UI/jour est la dose de choix. Cette dose doit être adaptée (jusqu’à 2000 UI/jour) chez les patients obèses ou présentant une malabsorption. Le but est d’obtenir un taux sanguin aux environs de 30 ng/ml (75 nmol/l)
> Une haute dose de vitamine D (idéalement 100 000 ou 200 000 UI, voire 300 000 UI) peut être administrée dans les populations avec une prévalence élevée de carence en vitamine D ou chez des patients ayant de tels taux sanguins documentés, tout en débutant une supplémentation quotidienne de 800 UI/jour
> Chez les patients non observants, la haute dose intermittente est préférable à l’absence de supplémentation. Au début, il faut suivre les taux sanguins (par exemple à 2, 3, et 4 mois) pour savoir à quelle fréquence administrer la haute dose de vitamine D, en privilégiant les doses de 100 000 ou 200 000 UI. La dose de 300 000 UI reste une alternative (seul dosage remboursé par les caisses maladie, uniquement à l’achat de dix ampoules)
> Une dose annuelle de 500 000 UI est associée à un risque accru de chutes et de fractures. Il en est probablement de même pour la dose de 300 000 UI si elle est administrée par voie IM à des patients ayant des taux sanguins élevés de vitamine D. Il n’y a aucune preuve que 300 000 UI soient délétères chez des patients carencés en vitamine D
> Les hautes doses de vitamine D ne doivent pas être utilisées chez les patients présentant des pathologies susceptibles d’augmenter l’hydroxylation de la 25 OH en 1,25 OH vitamine D (maladies granulomateuses, certains lymphomes), car elles risquent de provoquer une hypercalcémie 28
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