Antalgie interventionnelle
Contexte
La douleur chronique affecte 20% de la population en Europe. Les options thérapeutiques se révèlent souvent inefficaces, avec 40% des patients qui ne sont pas soulagés.1 Le débat sur la prescription d’opiacés à des patients souffrant de douleurs chroniques non cancéreuses n’a fait que croître récemment à la suite de publications montrant une péjoration du devenir et l’absence de bénéfices clairs à long terme.2 Le risque de la prise chronique d’anti-inflammatoires non stéroïdiens est aussi connu.3 Les médicaments adjuvants proposés dans le cadre d’une douleur neuropathique (antiépileptiques, antidépresseurs) ne sont efficaces que chez un patient sur trois. Les patients âgés, polymorbides et déjà traités par une multitude de médicaments sont à risque d’interactions médicamenteuses qui limitent les possibilités de traitements antalgiques par voie orale.4
De quelles interventions parle-t-on ?
Le traitement interventionnel de la douleur cible les structures à l’origine des douleurs ou les nerfs qui transmettent l’information douloureuse. Il inclut les procédures invasives comprenant l’application de médicaments dans des zones précises et/ou l’ablation ou la modulation de nerfs ciblés. L’application précise du médicament minimise les effets secondaires et optimise le gain thérapeutique. La procédure interventionnelle peut être diagnostique ou thérapeutique. Les procédures vont de blocs réversibles utilisant des anesthésiques locaux, à des destructions de structures nerveuses par radiofréquence ou par des agents neurolytiques, en passant par la neuromodulation (la stimulation périmédullaire (SCS pour spinal cord stimulation)) ou la pose de pompe intrathécale. La liste des techniques ne peut évidemment pas être exhaustive dans le cadre de cet abstract.
Quand doit-on envisager ce type de traitement ?
Comme pour d’autres pathologies, le patient peut être adressé à un centre d’antalgie proposant une prise en charge multidisciplinaire en cas d’échec thérapeutique d’une douleur chronique, que la prise en charge soit ensuite interventionnelle ou non. Certains traitements interventionnels ne devraient pas être envisagés uniquement en cas d’échec du traitement conservateur et/ou médicamenteux par voie systémique (point suivant). Les interventions à but antalgique sont aussi des mesures complémentaires dans une prise en charge globale des patients. Un traitement interventionnel ponctuel avec une analgésie efficace permettra à un patient d’effectuer un travail de physiothérapie dans le cadre de sa prise en charge.
Quelles sont les situations cliniques dans lesquelles une approche interventionnelle peut être envisagée précocement ?
Il est judicieux d’orienter sans délai le patient vers un centre spécialisé où des approches thérapeutiques multimodales sont disponibles lors de : 1) douleurs de dos irradiant dans une extrémité, 2) douleurs qui sont limitées au territoire d’innervation d’un nerf périphérique et 3) syndromes douloureux avec composante sympathique suspectée.
Quelles sont les preuves de l’utilité des interventions pour traiter la douleur chronique ?
Certaines interventions ont des indications bien établies. Les règles permettant de prouver l’efficacité d’un traitement dans la médecine basée sur les preuves telles que l’essai randomisé en double aveugle ne peuvent pas toujours s’appliquer dans le cadre d’une procédure interventionnelle. Une injection de produit non actif n’est souvent pas justifiable d’un point de vue éthique car elle met le patient à risque d’effets secondaires de l’infiltration sans bénéficier d’un traitement potentiel. Le nombre de patients est limité car l’inclusion ne peut souvent se faire qu’après échec des traitements médicamenteux et les patients sont souvent hétérogènes. De plus, une diminution de 50% du score de douleurs est souvent considérée pour valider l’efficacité d’un traitement alors même que certains patients rapportent un gain satisfaisant avec moins de 50% de réduction.
Quelles sont les contre-indications générales à l’antalgie intervention-nelle ?
La plupart des interventions sont contre-indiquées en cas de troubles de la coagulation, d’infections, d’allergies ou de refus du patient. Des contre-indications spécifiques pour certaines procédures peuvent se surajouter.
Quels sont les risques liés à l’antalgie interventionnelle ?
Les risques spécifiques sont la lésion d’un nerf, un hématome pouvant induire une com-pression d’une structure nerveuse, une infection. La fréquence et la gravité varient selon la localisation et une évaluation risque/bénéfice doit être effectuée pour chaque intervention chez chaque patient. La plupart des interventions s’effectuent en ambulatoire.
Pourquoi une majorité des procédures antalgiques interventionnelles se concentrent-elles sur le rachis ?
L’incidence de lombalgie chronique de 60-90%, avec une prévalence de plus de 20%, en fait une des pathologies douloureuses les plus fréquentes,5 suivie par les cervicalgies.6 Les interventions auront un but diagnostique ou thérapeutique. Le diagnostic différentiel entre une origine discale, radiculaire, ligamentaire, musculaire ou facettaire n’est pas toujours aisé.
Quelles sont les interventions proposées pour les lombalgies ?
Les infiltrations épidurales de stéroïdes peuvent se révéler utiles dans les douleurs radiculaires suite à une hernie discale, et modérément utiles dans le cadre de canal lombaire étroit, douleur discogénique ou postchirurgicale.7
Les articulations facettaires sont les articulations unissant les arcs postérieurs des vertèbres. Les blocs facettaires à but diagnostique permettent de préciser la contribution de ces articulations en injectant de l’anesthésique local soit dans l’articulation, soit sur le trajet des nerfs qui l’innervent (branches médianes des rameaux postérieurs adjacents à la facette). En cas de blocs positifs (diminution marquée de la douleur) une ablation par radiofréquence sera effectuée pour un effet prolongé. L’exactitude du diagnostic s’améliore en prenant des critères d’amélioration de la douleur plus sévères et en répétant le bloc, ce qui diminue les faux positifs.8 ,9
Quelles sont les interventions proposées pour les cervicalgies ?
La proportion de cervicalgies d’origine facettaire est plus grande que pour la lombalgie. Les blocs diagnostiques ainsi que le traitement d’ablation par radiofréquence peuvent être effectués comme mentionné pour les lombalgies.10 ,11
Les infiltrations épidurales peuvent aussi être effectuées au niveau cervical avec un bon degré d’évidence pour les cas de hernie discale cervicale avec syndromes radiculaires, et avec un degré modéré pour les douleurs axiales, la sténose cervicale ou le syndrome douloureux cervical postchirurgical.
Quelles sont les indications de la stimulation médullaire ?
La stimulation médullaire a démontré son efficacité dans les lombosciatalgies rebelles postchirurgicales (FBSS oufailed back surgery syndrome), le syndrome douloureux régional complexe, l’angor réfractaire et l’artériopathie périphérique.
A quel niveau le système nerveux sympathique peut-il être bloqué ?
Lorsque le système nerveux sympathique est impliqué dans la physiopathologie de la douleur chronique, un blocage du système sympathique peut contribuer à atténuer les symptômes. Ceci est principalement le cas dans le syndrome douloureux régional complexe. Le bloc du ganglion stellaire permet de cibler le cou, la tête et les membres supérieurs, le bloc du plexus cœliaque touche la zone destinée notamment au pancréas, à l’estomac et au foie et finalement celui de la chaîne sympathique lombaire, l’innervation du membre inférieur.
Perspectives et implications pratiques
▸ Devant les échecs de nombreuses thérapies non invasives, l’antalgie interventionnelle peut se présenter comme une alternative de choix
▸ Elle a sa place dans le diagnostic et le traitement de nombreuses pathologies douloureuses
▸ Une amélioration de l’évidence permettra de mieux préciser quelles interventions sont vraiment utiles
▸ L’antalgie interventionnelle est ainsi un des partenaires dans une prise en charge multidisciplinaire et globale de la douleur chronique
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