Maladie chronique et handicapante, mal connue et mal reconnue

Le lymphœdème (LO) est une maladie chronique et handicapante mal connue et mal reconnue qui a de multiples retentissements sur la vie personnelle, familiale, professionnelle et sociale du patient en fonction de son importance. Il s’agit d’un problème de santé publique dont la prévalence, évaluée à 1,33/1000, est vraisemblablement sous-estimée.1,2
Les patients sont démunis face à cette maladie, errant de diagnostic en diagnostic, subissant de multiples examens complémentaires coûteux et complexes alors que le diagnostic est essentiellement clinique.
En effet, l’enseignement de la lymphologie est minime, voire inexistant dans la plupart des écoles de médecine. Cette pathologie est donc mal connue et par conséquent le diagnostic est fait le plus souvent lors des stades les plus tardifs, c’est-à-dire les plus complexes et donc difficiles à traiter.
Le LO se caractérise par un œdème riche en protéines de hauts poids moléculaires aboutissant à une fibrose tissulaire et à une transformation graisseuse. Ceci entraîne une perte de la capacité fonctionnelle des lymphatiques par destruction ou défaut d’organogenèse du système lymphatique dont la fonction ne peut être normalisée.

Évolution clinique

Le LO est initialement mou, prend le godet et régresse en décubitus. Cette première phase peut être trompeuse ou passer inaperçue.
Secondairement au développement de la fibrose, il deviendra un œdème ferme, élastique, ne prenant pas le godet, ne régressant plus ou seulement partiellement. Aux orteils, la fibrose cutanée se traduira par le signe de Stemmer très spécifique du LO, c’est-à-dire une difficulté à pincer la peau de la face dorsale des orteils.3,4
A l’inverse de l’œdème veineux qui épargne la main ou le pied, l’œdème lymphatique intéresse toujours la main ou le pied au cours de son évolution. Le dos de la main ou du pied est bombé en verre de montre, l’augmentation de volume des doigts est décrite sous l’aspect de doigts en saucisses à la main et d’orteils cubiques au pied. L’œdème s’étend ensuite à plus ou moins tout le membre (figure 1).
Figure 1

Aspect clinique du lymphœdème

Impacts sur la vie du patient

Le LO a de nombreux retentissements sur la santé du patient par ses complications infectieuses et rhumatologiques, douloureuses et invalidantes. Il entraîne un handicap physique au travail nécessitant un aménagement du poste de travail ou d’horaires de travail, voire une réadaptation à un nouveau poste ou à un nouveau métier.
Il altère l’image corporelle et la qualité de vie et retentit sur la vie familiale, sociale, psychologique avec problème d’acceptation de cette maladie chronique qui est à l’origine d’un handicap générant angoisse et dépression.
Cette pathologie se caractérise également par son retentissement économique sous forme d’un manque à gagner lié au handicap, aux absences pour complications et traitements ainsi qu’aux frais de déplacements, les centres de consultation étant rares sur le territoire.
Enfin, les cas graves nécessitent une hospitalisation pour réduire le volumineux œdème ou pour traiter les complications infectieuses. Le traitement d’un LO coûte cher et ce d’autant plus s’il est réalisé à un stade tardif ; les matériaux de bandages, les manchons et les bas de compression n’étant pas suffisamment remboursés.

Traitement du lymphœdème

En tant qu’angiologues travaillant en milieu universitaire, nous recevons des patients de différents cantons en quête d’informations et d’une prise en charge de cette pathologie.
Si nous ne savons pas guérir ces patients, nous pouvons améliorer leur quotidien et, dans ce cas, la qualité de vie devient le facteur déterminant.
Chez de tels patients, il y a lieu de proscrire l’usage des diurétiques. En effet, si ces médicaments peuvent temporairement mobiliser le liquide, l’augmentation de la pression oncotique interstitielle exercée par la concentration élevée de protéines dans le liquide lymphatique entraînera une récurrence rapide de l’œdème.5 Sur le plan chirurgical, les anastomoses lymphoveineuses microchirugicales, la création d’un lambeau musculocutané avec le muscle grand dorsal, la transposition omentale, la greffe de vaisseaux lymphatiques ont donné lieu à des résultats décevants et irréguliers et doivent dès lors être évitées.6,7
Le traitement actuellement reconnu est essentiellement d’ordre physiothérapeutique associant drainages lymphatiques manuels et bandages réducteurs. En jouant sur les substances mobilisables, les traitements améliorent le tableau clinique, parfois de façon spectaculaire, mais le déséquilibre responsable de la maladie persiste. De plus, le moindre écart par activité musculaire excessive, la présence d’inflammation, l’absence du port de la compression élastique entraînent à nouveau une augmentation de volume du membre concerné.
Le drainage lymphatique doit débuter tôt, toutefois il est nécessaire de former correctement des physiothérapeutes. Même s’il existe dans quelques écoles une initiation de la pathologie lymphatique, le niveau des connaissances en ce domaine reste manifestement insuffisant.
Certains thérapeutes suivent, la plupart du temps, des formations individuelles, payantes et non contrôlées. Les actes de physiothérapie sont cependant mal rémunérés et incitent, la plupart du temps, les thérapeutes à abandonner ces soins ou à proposer des soins incomplets ou par des appareillages non validés.
L’instabilité ou la complexité de certains cas, l’existence de pathologies associées obligent souvent à de nouvelles hospitalisations et ceci d’autant plus qu’il n’existe, en ville, que très peu de physiothérapeutes connaissant les bonnes techniques dans ce domaine et disposés à les appliquer, situation en partie explicitée par l’importance du temps à consacrer par rapport aux moyens reçus.

Création et développement d’une consultation multidisciplinaire de lymphologie au CHUV

En Suisse, les centres de soins spécifiques hospitaliers sont rares en effet, un seul hôpital a développé une unité de lymphologie à Zurzach en Argovie. De ce fait, à l’heure actuelle, les centres de référence pour la prise en charge du LO sont inexistants en milieu hospitalier universitaire sur le territoire helvétique. De même, les consultations ambulatoires de lymphologie sont peu nombreuses et réparties de façon hétérogène sur le territoire avec des délais d’attente de plusieurs semaines pour la première consultation. Par ailleurs, les pratiques de soins quand elles existent ne sont pas toujours les mêmes selon les centres et les régions.
Pour ces différentes raisons, une consultation spécialisée multidisciplinaire de lymphologie, destinée au diagnostic et à la prise en charge thérapeutique de toute forme d’œdème lymphatique, y compris les formes mixtes veinolymphatiques et les œdèmes postopératoires (tableau 1), a été mise sur pied au sein du service d’angiologie en collaboration avec le secteur de physiothérapie.
Tableau 1
Etiologies du lymphœdème (LO)
Population concernée LO primaires (10%) : membre inférieur > supérieur • Congénitaux, précoces ou tardifs LO secondaires (90%) : membre supérieur > inférieur • Chirurgie : maxillo faciale, plastique, orthopédique et de revascularisation, biopsie ganglionnaire • Traumatisme (fracture, entorse, sport intense) • Infection (piqûre d’insecte, filariose, streptocoques…) • Tumeurs et leur traitement : sein, utérus, prostate, vessie, tissu conjonctif, mélanomes Les œdèmes mixtes : • phlébo-lymphœdème • lipo-lymphœdème • lipo-phlébo-lymphœdème
Cette consultation, soutenue par le centre des maladies cardiovasculaires et métaboliques (Cardiomet) du CHUV, est organisée comme suit.

Consultation de patients ambulatoires

Elle a lieu sur rendez-vous en angiologie le mercredi une à deux fois par mois selon la demande. Elle est assurée par le Dr M. Depairon et un physiothérapeute, le Dr D. Klumbach. Elle a essentiellement pour rôle:
d’examiner les patients adressés afin d’identifier et de confirmer la présence d’œdème et poser le diagnostic de lymphœdème le cas échéant ;
de référer les cas non complexes aux physiothérapeutes installés avec une prescription thérapeutique ou d’adresser les cas plus complexes, ou les patients qui le souhaitent, à notre propre consultation de drainage lymphatique ;
de contrôler l’efficacité des traitements entrepris ;
de proposer une hospitalisation en cas d’échec du traitement ambulatoire, plus particulièrement en cas d’œdème décompensé, d’infection ou de bandages complexes.

Consultation de patients hospitalisés au CHUV

Une consultation spécialisée de lymphologie pour les patients hospitalisés peut être demandée en angiologie tous les jours.

Consultation de prise en charge thérapeutique du lymphœdème (drainage lymphatique)

A raison de trois demi-journées par semaine au sein du service d’angiologie au CHUV, cette consultation est assurée par une physiothérapeute expérimentée et par une physiothérapeute en formation appartenant à l’équipe des physiothérapeutes de la médecine interne. Ceci permet de former les physiothérapeutes au drainage lymphatique, l’enseignement du traitement du lymphœdème étant aussi un des objectifs de cette consultation afin de former une relève de physiothérapeutes compétents en interne et sur le territoire vaudois et, plus globalement, en Suisse romande.
Concernant la prise en charge thérapeutique des patients hospitalisés au CHUV avec lymphœdème, un référant physiothérapeute a été nommé dans chaque service.
A ce jour, plus d’une centaine de patients ont été examinés en ambulatoire. La majorité d’entre eux souffrent de LO secondaire des membres inférieurs. Dix à vingt patients sont hospitalisés par an pour une prise en charge thérapeutique plus intensive de leur LO. Depuis avril 2008, environ 200 séances de drainage lymphatique en ambulatoire ont été effectuées.
A ce jour, notre recrutement repose essentiellement sur le bouche à oreille car nos moyens sont encore restreints et l’évaluation à un an d’une telle consultation sera nécessaire.

Enseignement de la lymphologie

L’enseignement de la lymphologie est minime, voire inexistant dans la plupart des écoles de médecine. Cette pathologie est donc mal connue et par conséquent le diagnostic est fait tardivement, le plus souvent lors des stades les plus tardifs c’est-à-dire les plus complexes et donc difficiles à traiter.
Il est également nécessaire de former correctement des physiothérapeutes car le traitement du LO nécessite le concours de physiothérapeutes spécialisés. Même s’il existe dans quelques écoles une initiation à ce type de prise en charge, le niveau des connaissances en ce domaine reste manifestement insuffisant.
Un des impacts non négligeable de cette consultation est aussi d’améliorer la formation des médecins et physiothérapeutes, intéressés par cet aspect de la spécialisation, dans le cadre d’un tournus leur permettant de travailler régulièrement aux côtés d’un aîné plus expérimenté dans cette discipline.

Conclusion

Il y a donc nécessité :
• De reconnaître le LO comme une maladie chronique et handicapante dont la prise en charge doit être de meilleure qualité et la même pour tous.
• De permettre à chaque malade de bénéficier des soins et des dispositifs médicaux nécessaires ainsi que d’une aide psychologique lorsqu’elle s’avère indispensable.
• De promouvoir l’enseignement de la lymphologie et des méthodes de traitement. Il importe de former le corps médical à la pathologie lymphatique en introduisant une formation théorique dans ce domaine afin de familiariser les étudiants avec le diagnostic, les indications, les contre-indications et les modalités de traitement.
• De valider les méthodes de traitement. La littérature retrouve des articles traitant des résultats immédiats du drainage lymphatique. Mais il n’existe pas de recommandations fondées sur des preuves scientifiques concernant les indications et les résultats à long terme du drainage lymphatique, ainsi que le montre une revue récente de la Cochrane database.8 Ceci est essentiellement dû à l’absence d’études structurées, au petit nombre de patients inclus dans ces études ainsi qu’à l’utilisation de méthodologies variables selon les centres de traitement.
La création d’une consultation interdisciplinaire de lymphologie devrait permettre également d’élaborer des protocoles d’études visant à confirmer scientifiquement le bien-fondé de ce type de prise en charge, lequel repose avant tout, aujourd’hui, sur l’habitude clinique.
• De susciter des recherches aussi bien sur les causes et les mécanismes de survenue de la pathologie que sur les moyens thérapeutiques.

Implications pratiques

> Le lymphœdème (LO) est une maladie chronique et invalidante qu’il importe de reconnaître et de traiter le plus tôt possible
> Le traitement actuellement reconnu est essentiellement du ressort de la physiothérapie associant drainages lymphatiques manuels et bandages réducteurs
> Ce traitement doit être dispensé par des physiothérapeutes et requiert une formation spécifique
> Le service d’angiologie se tient à la disposition des thérapeutes pour examiner les patients souffrant d’œdème et propose une hospitalisation en cas d’échec du traitement ambulatoire