Introduction

Les mesures immédiates prises en urgence lors de traumatologie sportive sont connues de tous : glace, repos, élévation, compression (GREC). Même s’il apparaît de bon aloi de continuer à préconiser leur emploi, aucune étude scientifique n’a pu démontrer à ce jour l’intérêt de l’application de ces mesures les unes après les autres.1
Afin de juguler l’épisode douloureux, il est courant de prescrire des anti-inflammatoires (AINS) ou des antalgiques. Ces médications, en particulier les premières, ne sont pas dénuées d’effets secondaires. Elles sont, pour certaines, en vente libre, accessibles sans contrôle médical.
Les athlètes les consomment régulièrement, pour poursuivre leur activité sportive malgré une lésion aiguë, pour hâter un retour sur le terrain de sport, voire en guise de prophylaxie. Les AINS étaient les médicaments les plus utilisés chez les sportifs canadiens aux Jeux olympiques de Sydney.2 Une enquête effectuée auprès de joueurs de football américain a montré que 1/7 des athlètes de niveau « High School » consomme quotidiennement des AINS et que 29% d’athlètes de niveau « College » en prennent préventivement le jour d’une compétition.3 Warner retrouve une incidence similaire : indépendamment d’effets antalgiques, les athlètes évoquent, pour justifier la prise de ces substances, un possible gain de performance.4
Pour grand nombre de praticiens, les connaissances médicales sur les conséquences nocives de l’utilisation chronique d’AINS se limitent à la problématique gastro-intestinale, ainsi qu’à celle de la fonction rénale. Or, la littérature médicale récente montre que les effets délétères des AINS s’étendent également au métabolisme et à la croissance des principaux tissus constituant l’appareil musculo-squelettique.5 Se pose donc un problème « éthique »: faut-il tenir compte de l’effet antalgique à court terme des AINS pour privilégier la performance immédiate ou mettre l’accent sur les conséquences potentiellement délétères à long terme de leur utilisation ?
Cette revue a pour but d’aider le praticien de premier recours, le médecin généraliste et le médecin du sport à évaluer les risques et bénéfices inhérents à l’utilisation régulière des AINS chez l’athlète, qu’il s’agisse de lésions ligamentaires, tendineuses, osseuses ou musculaires.

Anti-inflammatoires non stéroïdiens

Ces substances sont administrées le plus souvent par voie orale et passent donc par le système digestif, puis dans la circulation, pour être enfin métabolisées selon leurs propriétés individuelles soit par le rein, soit par le foie. Les AINS peuvent également être délivrés sous forme topique ou par injections intramusculaires, ces voies d’administration étant moins étudiées que la voie orale.
A la lumière des connaissances actuelles, il paraît de plus en plus évident que la prise d’AINS entraîne une inhibition marquée de la réponse inflammatoire précoce, qu’elle peut altérer la cicatrisation naturelle d’une lésion et avoir un impact négatif sur le processus de réparation ultérieur. Le mécanisme d’action principal des AINS est celui d’une inhibition de la synthèse des prostaglandines (PG) à partir de l’acide arachidonique, par un blocage de la cyclo-oxygénase (Cox).
Enfin, parmi les effets secondaires des AINS, il ne faut pas négliger la possibilité de complications hémorragiques post-traumatiques chez tous les sportifs engagés dans des sports de contact ou « à risques ».5,6

Anti-inflammatoires non stéroïdiens et ligaments

Des recherches menées sur des modèles animaux7 montrent des résultats contradictoires : une fonction articulaire parfois améliorée à court terme mais pas systématiquement, une résistance tensionnelle du ligament majorée, réduite ou inchangée ; enfin, des effets potentiellement délétères à plus longue échéance sur la cicatrisation ligamentaire.
In vitro, l’adjonction d’indométacine à des fibroblastes humains inhibe la synthèse d’ ADN codant pour la synthèse protéique.8
Chez l’homme et le sportif en particulier, la lésion la plus étudiée est sans conteste l’entorse de cheville de grade I ou II et l’AINS le plus utilisé l’ibuprofène 2400 mg/j pendant sept à dix jours.9 Les résultats sont relativement homogènes. Par rapport au placebo, on note une diminution précoce de la douleur et de la tuméfaction, une amélioration des amplitudes articulaires de la cheville et une mise en charge plus rapide. Ces effets positifs, quand ils existent, sont, en règle générale, observables jusqu’au septième jour, pas au-delà. Une étude australienne portant également sur des entorses de cheville suivies pendant six mois, confirme un retour plus précoce à l’activité dans le groupe piroxicam 20 mg/j administrés pendant sept jours ; à six mois, par contre, le groupe traité démontre une amplitude articulaire réduite, une laxité antérieure augmentée et un taux de récidives accru (25%).10

Anti-inflammatoires non stéroïdiens et tendons

Partant du constat de l’absence de réaction inflammatoire lors des tendinopathies de surcharge,11 le rôle des AINS est, par conséquent, très incertain et débattu. Une méta-analyse très récente12 a identifié 37 études cliniques randomisées contrôlées et revues systématiques : seule la douleur à court terme est parfois réduite pour certaines localisations (épaule en particulier). Il n’y a aucun bénéfice à plus long terme et le risque d’effets indésirables augmente avec la durée du traitement. On pourrait même postuler que l’effet antalgique des AINS pourrait permettre au sportif d’augmenter trop précocement les contraintes sur son tendon et, par conséquent, influencer négativement la guérison. De plus, il n’a jamais été démontré que les AINS modifient le cours naturel de la guérison d’une tendinopathie.13,14 Seules la tendino-bursite aiguë de l’épaule et la téno-synovite de De Quervain paraissent des indications potentielles pour des traitements de courte durée.15,16

Anti-inflammatoires non stéroïdiens et os

Les PG jouent un rôle important en homéostasie osseuse. Elles stimulent à la fois la résorption osseuse en augmentant le nombre et l’activité des ostéoclastes et la formation osseuse en augmentant la réplication et la différenciation des ostéoblastes.17 On comprend aisément que toute substance qui altère leur synthèse puisse être délétère. Les effets inhibiteurs des AINS sur la formation osseuse ont conduit à leur utilisation dans la prévention des ossifications hétérotopiques après chirurgie prothétique.18
Les effets délétères varient selon les AINS choisis ainsi que selon la durée de prise. Un retard de consolidation osseuse a été régulièrement décrit chez des patients sous AINS, il convient de les éviter en tout cas durant la première semaine après une fracture.17,19,20 Par la suite, même en l’absence d’effets potentiellement néfastes, leur emploi ne se justifie plus, les antalgiques devraient être suffisants. Lors de fracture de stress, pour les mêmes raisons, les AINS ne devraient pas être utilisés.

Anti-inflammatoires non stéroïdiens et muscle

Lors d’une lésion musculaire, la rupture des fibres sera suivie d’une nécrose des myofibres, de l’apparition d’un hématome et d’une réaction inflammatoire. Une phase de réparation sera engendrée avec phagocytose du matériel nécrotique puis production d’un tissu fibreux. Tout un cortège de cytokines et de facteurs de croissance sera sécrété (TNF-α, FGF, IGF, IL-1β, Il-6, etc.). La troisième et dernière phase, celle de remodelage, sera constituée par la régénération des fibres musculaires nouvellement formées, la contraction et la réorganisation de la cicatrice fibreuse.21
Les neutrophiles et les macrophages dominent la réaction inflammatoire initiale. La libération de cytokines, de radicaux libres pourrait, pour certains, aggraver la lésion initiale. Leur action de nettoyage des débris sur le site lésionnel semble être importante pour permettre le remodelage tissulaire.22
De nombreux modèles de lésions musculaires, animaux pour la plupart, ont été utilisés afin de juger de l’intérêt des AINS (lésion ischémique, lésion due au froid, décharge puis mise en charge, travail excentrique, contusion musculaire, etc.). Le type d’anti-inflammatoires, leur sélectivité Cox-1 ou -2, la durée de prise, les doses utilisées, l’horaire de la prise par rapport à la survenue de la lésion varient. Les études réalisées ne permettent pas toujours de tirer des conclusions univoques. La transposition de résultats de modèles animaux à l’être humain doit, par ailleurs, être prise avec précaution. Nous focaliserons notre analyse sur les études réalisées chez l’homme.
La concentration de macrophages ou de neutrophiles mesurée sur des biopsies musculaires 24 heures après un effort excentrique n’est pas différente dans trois groupes d’hommes comparés, qu’ils aient pris 1 200 mg d’ibuprofène, 4 g de paracétamol ou un placebo. Ces doses ont été choisies car elles sont les doses maximales qui peuvent être obtenues en vente libre. Il n’y a pas de différence au regard des courbatures, des créatine kinases (CK) ou des PGE2. Si cette étude ne démontre pas d’effets délétères des AINS, elle ne démontre pas d’avantages par rapport à un antalgique.23Sur ce collectif, les PG sont inhibées de façon similaire, que les sujets soient sous AINS ou antalgiques.24 Il en va de même pour la synthèse protéique, étape importante de la régénération musculaire.25 Dans cette étude, aussi bien l’ibuprofène que le paracétamol n’ont pas eu d’effet antalgique sur les courbatures.
Des patients victimes de lésions musculaires de la cuisse, répartis en trois groupes, ont été soumis à un traitement de physiothérapie intense. L’évolution, en termes de douleurs, de circonférence de la cuisse ou de force isocinétique n’est pas différente, qu’ils soient sous des doses, relativement faibles certes, d’AINS (50 mg de diclofénac), d’antalgique (50 mg de méclofénamate) ou sous placebo.26
L’augmentation du nombre de cellules satellites, induites par l’effort, est atténuée lors de la prise d’indométacine comme en témoignent des biopsies musculaires prélevées chez des marathoniens en ayant pris 100 mg pendant les quatre jours précédant une course de 36 km ainsi que dans les huit jours suivants.27 Cette étude diffère des études rapportées ci-dessus par le fait que la médication est introduite bien avant la lésion. La prise régulière d’AINS, pratique courante dans certains milieux sportifs, permet d’atteindre des concentrations tissulaires suffisantes pour, possiblement, modifier la réponse locale. Ceci est également témoigné par O’Grady qui rapporte que l’administration prolongée de diclofénac, commencée quinze jours avant un effort excentrique inhabituel, a permis de limiter l’augmentation des CK et de diminuer la durée d’inconfort liée aux courbatures,28 au contraire de Trappe qui ne retrouve pas d’effet antalgique lors de l’administration d’AINS au moment de la lésion.24
En résumé, dans ce modèle de lésion musculaire chez l’être humain, la prise de médicaments anti-inflammatoires n’apporte pas de bénéfice significatif, bien au contraire, l’inhibition des PG pourrait être néfaste sur la synthèse protéique. Il convient de garder à l’esprit ces effets délétères sur le muscle, plus spécifiquement lors de prescription à long terme d’AINS, en particulier chez des patients âgés dont la masse musculaire est diminuée. Notre revue ne permet pas de conclure à l’intérêt de la prise d’anti-inflammatoires, les antalgiques devraient leur être préféré bien que, dans certaines études, leurs effets sur la réparation tissulaire pourraient ne pas être différents de ceux des AINS.
Dans deux situations liées à des complications lors de lésions musculaires, les AINS peuvent avoir un intérêt : la contusion musculaire profonde, source fréquente de myosite ossifiante ou la prévention de cette dernière en particulier chez un sujet ayant présenté une telle complication par le passé.29

Effets indésirables

En prescrivant un AINS, le clinicien doit évidemment connaître le profil de toxicité du produit. Les effets secondaires des AINS sont plus fréquents en administration chronique que ponctuelle. L’un des effets reconnus est leur toxicité gastro-intestinale (dyspepsie, nausées, ulcères et saignements). Les inhibiteurs Cox-2 spécifiques ont montré des complications digestives réduites, mais le risque accru d’événements cardiovasculaires a amené leur retrait du marché, à l’exception du célécoxib. La stratégie de prévention du risque digestif consiste à limiter la durée de la prise, à faire absorber l’AINS avec de la nourriture et surtout à prescrire, de façon concomitante une protection gastrique.29
Un effet secondaire moins fréquent est l’atteinte rénale, plutôt observée chez le sujet âgé, mais aussi déshydraté (situation fréquente lors de la pratique sportive).

Conclusions et recommandations pratiques

En médecine du sport, les études de haute qualité sur l’utilisation des AINS sont encore rares. L’emploi d’AINS ou d’antalgiques pour la prise en charge d’un grand nombre de lésions sportives reste pourtant une pratique courante. Il paraît évident qu’une réflexion s’impose.
Est-il justifié de masquer les symptômes douloureux d’un athlète pour lui permettre une interruption la plus courte possible de la pratique sportive, au détriment peut-être de la guérison et par conséquent de la récupération à plus long terme ?
D’autres possibilités thérapeutiques, en particulier par le biais de la physiothérapie existent. Le tableau 1 représente la synthèse des recommandations actuelles pour l’utilisation des AINS en pratique sportive courante, le but étant toujours d’employer la dose effective la plus faible pour une durée la plus courte.
Tableau 1
Recommandations pour l’utilisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en médecine du sport
Types de lésion Impacts des AINS Commentaires Ligament : entorse Possiblement et potentiellement utiles Réduction de la douleur et de la tuméfaction Retour au sport accéléré Laxité résiduelle à long terme ??? Durée courte recommandée (

Implications pratiques

> La prescription systématique d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en médecine et traumatologie du sport est encore trop fréquente et leur administration devrait répondre à des critères précis
> Les AINS sont loin d’être dénués d’effets secondaires organiques systémiques (tube digestif, rein) mais également, ce qui est moins connu, d’effets délétères sur la réparation tissulaire musculo-squelettique
> Une utilisation raisonnée de ces substances est nécessaire et le tableau 1 en représente une synthèse
> Si leur prescription est justifiée, il devrait toujours s’agir d’une dose minimale efficace et d’une durée nécessaire la plus courte possible