Introduction

Le syndrome clinique de claudication neurogène a été décrit par Jean-Martin Charcot (1825-1893), premier professeur de neurologie en Europe, exerçant à l’Hôpital de la Salpêtrière à Paris au milieu du XIXe siècle. Il faut cependant attendre la publication de référence de Henk Verbiest (1909-1997) dans la version britannique du Journal of Bone and Joint Surgery en 1954 pour commencer à en suspecter le mécanisme pathologique.1 Verbiest décrit les caractéristiques radiologiques (blocage du liquide de contraste à la radiculographie) et constate lors de la chirurgie que le rétrécissement canalaire lombaire était dû à une arthrose des articulations facettaires comprimant ainsi les racines nerveuses.
Depuis lors, le traitement chirurgical s’est développé, affiné en prenant ainsi une place importante dans l’arsenal thérapeutique moderne de la claudication neurogène, lorsque celle-ci ne répond plus au traitement physiothérapeutique et pharmacologique.

Histoire naturelle de la claudication neurogène dans le canal lombaire étroit

Peu de publications traitant de l’histoire naturelle de la claudication neurogène sont disponibles. Le travail le plus fréquemment mentionné est celui de Johnsson et coll., publié en 1992.2 En se basant sur l’observation de 32 patients avec un suivi moyen de 49 mois, les auteurs concluaient que les symptômes restaient inchangés chez 70%, et ne se péjoraient que chez 15% des sujets étudiés.
En 2000, A. Nachemson et E. Johnsson publiaient un livre intitulé « Neck and back pain : The scientific evidence of causes, diagnosis and treatment » dans lequel ils s’apitoyaient sur la pauvreté méthodologique des études cliniques sur le traitement non seulement chirurgical, mais également conservateur du canal lombaire étroit symptomatique.3Les années qui suivirent, ont permis, notamment grâce aux bases de données médicales prospectives initiées par les pays scandinaves, de remédier à cette tare.

État des lieux en 2008

Malmivaara et coll. publient en 2007 la première étude clinique prospective randomisée et contrôlée, comparant un traitement chirurgical (décompression interlamaire) à un traitement médical standardisé (physiothérapie et antalgiques).4 Quarante-quatre patients (âge moyen 62 ans) ont été traités conservativement, cinquante chirurgicalement (âge moyen 63 ans). Les deux groupes ont rapporté une amélioration similaire de la fonction et du périmètre de marche, ainsi qu’une diminution significative de la lombosciatalgie durant les six premiers mois de traitement. Cependant, à tous les contrôles ultérieurs, le traitement chirurgical a montré un avantage statistiquement significatif sur le traitement non chirurgical. Lors de l’évaluation à deux ans, le résultat de la chirurgie s’était légèrement détérioré, mais est resté supérieur au traitement conservateur en termes de fonction et de douleur, telles qu’évaluées par un questionnaire fonctionnel validé (Oswestry Disability Index ou ODI) et par l’échelle visuelle de la douleur pour la lombalgie et l’irradiation dans les membres inférieurs.
En 2008, le groupe de travail du Spine Patient Outcome Research Trial (SPORT) publie également les résultats d’un suivi sur deux ans de deux cohortes de patients (moyenne d’âge située entre 63 et 66 ans) traités pour canal lombaire étroit sans spondylolisthésis dégénératif.5 Dans l’une des cohortes, 289 patients ont été randomisés entre un traitement chirurgical ou non chirurgical. La deuxième cohorte (observationnelle) comprenait 365 patients qui avaient refusé la randomisation et avaient été répartis volontairement en un groupe chirurgical et un groupe non chirurgical. L’analyse séparée de ces deux cohortes a démontré un avantage statistiquement significatif de la chirurgie sur le traitement non chirurgical. Par un ajustement statistique des facteurs confondants, les auteurs se sont permis d’effectuer une analyse combinée des deux cohortes de patients (cohorte randomisée et cohorte observationnelle). Cette analyse globale a mis en évidence que le traitement chirurgical permettait d’obtenir un résultat significativement meilleur, plus précoce et plus durable en termes de fonction (ODI et Short Form Questionnaire 36 ou SF-36) et de diminution de la douleur, comparé au traitement non chirurgical. Le taux de mortalité global à deux ans dans cette étude était de 0,3% (une autre rapporte un taux de 0,8%). Le taux de complications postopératoires (générales) était de 12%, et le taux de réintervention à un an pour récidive de sténose était de 1,3%, similaire à celui de l’étude de Malmivaara.4

Quelle technique chirurgicale?

A l’heure actuelle, plusieurs variantes techniques de la décompression sont utilisées, dépendant en grande partie du cursus de formation du chirurgien : laminoplastie interlamaire qui consiste à enlever les ostéophytes intracanalaires en préservant l’arc postérieur de la vertèbre ou laminectomie qui consiste à réséquer l’arc postérieur en grande partie ou dans sa totalité. Aucune étude n’a comparé prospectivement l’une ou l’autre technique et le choix reste celui du chirurgien.

Quand faut-il stabiliser?

Il existe quelques études observationnelles qui recommandent d’associer une stabilisation à la chirurgie de décompression en présence d’un listhésis dégénératif, car sans cela le risque de progression du glissement et de récidive de sténose serait de l’ordre de 30%.6 En dehors de cela, et mis à part les scolioses dégénératives avec canal lombaire étroit et requérant une approche thérapeutique particulière, aucune donnée littéraire ne répond clairement à la question de la stabilisation.

Chirurgie moins invasive

La tendance actuelle est au développement de techniques chirurgicales moins invasives, permettant de préserver les tissus mous et de réduire les douleurs chirurgicales postopératoires immédiates du patient. Toute une panoplie d’instrumentations a vu le jour ces dernières années et est en cours d’évaluation clinique, bien que quelques études non randomisées déjà publiées en laissent entrevoir les avantages (moins de douleurs et moins de saignements).
Un chapitre particulier concerne celui des implants interépineux, dont le principe est de décomprimer indirectement le canal rachidien en écartant les apophyses épineuses (distraction). L’avantage de ce type d’implants est de pouvoir les insérer en anesthésie locale, en réduisant ainsi le traumatisme chirurgical et le temps d’hospitalisation. Une seule étude comparative prospective randomisée non contrôlée était publiée en 2005 à ce sujet et rapportait des résultats fonctionnels très encourageants.7 L’indication reste toutefois limitée au traitement d’un ou maximum deux segments sténosés, sans listhésis dégénératif.8

Conclusion

Sur la base de deux études tout à fait récentes, nous pouvons raisonnablement proposer qu’un traitement chirurgical soit appliqué déjà après une période de trois mois de traitement non chirurgical, si celui-ci n’a pas apporté le résultat escompté. Cette décision doit bien entendu être pondérée par les attentes des patients, leurs comorbidités et éventuellement leur âge avancé (>80 ans?). La décompression seule, sans stabilisation, reste la pierre angulaire du traitement chirurgical en l’absence d’instabilité mécanique évidente. De nouvelles techniques de décompression indirecte, moins traumatisantes, montrent des résultats encourageants dans des indications qui doivent être bien définies.

Implications pratiques

> Les publications récentes dans le domaine du traitement du canal lombaire étroit montrent un avantage net précoce et à long terme du traitement chirurgical sur le traitement non chirurgical
> Dès le troisième mois d’un traitement conservateur sans succès, une décompression chirurgicale peut raisonnablement être proposée