Introduction

De multiples causes peuvent être à l’origine d’une paralysie faciale définitive. Parmi les plus fréquentes, mentionnons les lésions traumatiques du nerf facial (fractures du rocher, traumatisme de la face), la paralysie de Bell, la chirurgie des tumeurs de l’angle ponto-cérébelleux et de la glande parotide nécessitant le sacrifice du nerf facial. Signalons encore les plus rares telles les paralysies faciales congénitales qui touchent une population pédiatrique et dont les conséquences sur le développement psychique ne sont pas négligeables. En effet, le nerf facial et la musculature faciale sont les vecteurs de l’expressivité faciale, transmise aussi bien par les mouvements volontaires que par les mouvements spontanés involontaires. Cette mimique faciale est un outil de communication essentiel pour transmettre les émotions et les sentiments. Ainsi, les conséquences d’une paralysie faciale sont dramatiques, tant par leur incidence sur le plan affectif que socioprofessionnel.
De multiples techniques chirurgicales de complexité variable, adaptées au contexte clinique, permettent de réanimer la face paralysée et de redonner une expressivité à ces visages défigurés.1

Techniques de réanimation faciale

Le choix d’une technique de réanimation faciale est adapté à la cause de la paralysie faciale, au pronostic oncologique s’il s’agit d’une tumeur, ainsi qu’à l’âge et aux désirs du patient. Les greffes nerveuses, les transferts musculaires dynamiques et les suspensions statiques représentent les techniques les plus souvent utilisées. A cela s’ajoute dans pratiquement tous les cas une prise en charge de l’œil, médicale et chirurgicale.

Greffes nerveuses

Greffe facio-faciale (VII-VII)

Cette technique consiste à reconnecter le noyau facial aux branches périphériques soit par une suture directe, soit au moyen de l’interposition d’un greffon nerveux prélevé sur les nerfs sensitifs grand auriculaire ou sural. Lorsqu’elle est réalisée dans les délais chez des patients jeunes ou d’âge moyen, cette technique de réanimation permet d’obtenir des résultats très satisfaisants. Comme le nerf facial n’a pas d’organisation somatotopique, les erreurs d’aiguillage des axones recolonisant la greffe entraînent des contractions musculaires non désirées, appelées syncinésies : la fermeture des yeux provoque une élévation de la commissure labiale et vice versa. De ce fait, plus la greffe est réalisée en périphérie sur le nerf, meilleurs seront les résultats.

Anastomose hypoglosso-faciale (XII-VII)

Cette technique est choisie lorsque le rameau proximal du nerf facial n’est plus disponible. De nombreuses variations ont été décrites : l’anastomose termino-terminale qui sacrifie complètement l’activité du nerf hypoglosse (figure 1) et l’anastomose termino-latérale qui n’utilise que 30 à 50% des fibres du XII, permettant de conserver une innervation des muscles linguaux et d’éviter l’atrophie hémi-linguale.2 Certains auteurs considèrent qu’il vaut mieux sectionner complètement le XII et associer immédiatement une physiothérapie intensive, tant au niveau de la langue que de la face, afin d’éviter l’atrophie linguale et de favoriser la plasticité cérébrale.3 En effet, bien que les mouvements spontanés soient dépendants du nerf facial, certains patients arrivent tout de même à générer une activité faciale spontanée transmise par le XII, ceci grâce à une adaptation cérébrale. Au début, le patient doit bouger sa langue pour déclencher une contraction faciale. Cela permet de restaurer un tonus et une symétrie au repos. Les contractions ont souvent une composante spastique avec des mouvements de masse qui s’atténuent après une physiothérapie prolongée (voir l’article de P. Gatignol dans ce même numéro).
Figure 1

Anastomose hypoglosso-faciale (XII-VII)

Le nerf hypoglosse est sectionné et suturé au tronc du nerf facial.

Greffe transfaciale

Cette technique est une autre alternative lorsque le rameau proximal du nerf facial n’est pas disponible. Elle consiste à placer un greffon nerveux entre des branches du nerf facial du côté sain et les branches périphériques du nerf facial lésé. Plusieurs greffes sont réalisées de manière étagée pour une réinnervation segmentaire du visage et éviter ainsi les synkinésies. Une sélection rigoureuse des branches du côté sain permet d’éviter une paralysie du côté sain, grâce à l’innervation multiple des fibres musculaires. En raison du nombre limité de fibres amenées par la greffe transfaciale et du temps nécessaire à la réinnervation, cette technique est souvent associée à une anastomose hypoglosso-faciale qui va restaurer et maintenir le tonus musculaire jusqu’à ce que la greffe transfaciale soit effective.4 Par contre, la greffe transfaciale est systématiquement utilisée dans les transferts musculaires libres.

Suspensions statiques de la commissure labiale

Il s’agit de techniques simples et immédiates qui visent à symétriser la commissure labiale au repos et à éviter les troubles fonctionnels tels que le bavage. Elles peuvent être définitives chez des patients avec des comorbidités, lorsque le pronostic de la maladie de base est réservé, ou temporaires en association avec une greffe nerveuse. La commissure labiale est suspendue au moyen d’un greffon autologue (fascia lata, tendon du muscle plantaire grêle) ou synthétique (Goretex, derme acellulaire, fils de suspension crantés, etc.).5

Suspensions dynamiques de la commissure labiale

La myoplastie du muscle temporal selon Labbé et le transfert du muscle gracilis sont les deux techniques fréquemment utilisées et qui permettent de restaurer une élévation dynamique de la commissure labiale au moyen d’une transposition musculaire. La première consiste à désinsérer le muscle temporal au niveau de ses insertions crâniale et mandibulaire et de fixer cette dernière sur la commissure labiale en glissant le muscle dans un tunnel à travers la boule graisseuse de Bichat. Le muscle est remis sous tension en refixant son extrémité crâniale sur la galéa (figure 2). Le muscle temporal étant innervé par une branche motrice du V, le patient doit serrer la mâchoire pour sourire.6
Figure 2

Myoplastie du muscle temporal

A. Le muscle temporal est désinséré au niveau de ses insertions crâniale et distale par un abord bicoronal. B.Suspension de la commissure labiale en glissant le muscle dans un tunnel à travers la boule graisseuse de Bichat. Le muscle est remis sous tension en refixant son extrémité crâniale sur la galéa.
La réanimation par le muscle gracilis nécessite deux temps opératoires : d’abord une greffe transfaciale pour amener des fibres nerveuses du VII sain vers le côté paralysé puis, six mois plus tard, le transfert du muscle gracilis prélevé sur la face interne de la cuisse et fixé entre la commissure labiale et la région temporale. Il est réinnervé par la greffe transfaciale et revascularisé par une anastomose vasculaire sur les vaisseaux faciaux (figure 3).7
Figure 3

Transfert du muscle gracilis, réinnervation par une greffe transfaciale et revascularisation via les artères et veines faciales

Prise en charge de l’œil

Les conséquences oculaires de la paralysie faciale sont la ptose du sourcil, la lagophtalmie et l’ectropion paralytique. Le premier geste est donc de protéger la cornée, soit par l’alourdissement de la paupière supérieure avec l’insertion d’un implant en or (figure 4), soit par l’allongement de la paupière supérieure au moyen d’une greffe de derme.8 Le sourcil tombant est repositionné et fixé au périoste par l’incision de la blépharoplastie ou par la mise en place de fils tracteurs entre le sourcil et le périoste frontal.9 L’ectropion est corrigé par une canthopexie externe. Pour les paralysies en voie de récupération, il existe des implants palpébraux qui se collent sur la peau de la paupière.
Figure 4

Prise en charge de l’œil

A. B. Paralysie faciale G avec lagophtalmie et ectropion paralytique et ptose du sourcil. C. Alourdissement de la paupière supérieure par un implant en or et correction de l’ectropion par une canthopexie externe et suspension du sourcil.

Situations cliniques

Le nerf facial est sacrifié partiellement ou totalement lors d’une chirurgie parotidienne

Il s’agit d’une situation où le noyau moteur, le tronc proximal du nerf et la plaque motrice sont intacts. Le traitement de choix est une greffe nerveuse immédiate au moyen d’un greffon. Si la greffe n’est pas réalisée immédiatement, le chirurgien aura soin d’identifier les rameaux proximaux et distaux par un fil de nylon ou des tubes de silicone. Bien qu’idéalement la greffe nerveuse doive être faite durant le même temps opératoire que la résection du nerf, elle peut être réalisée dans un délai de dix jours pour obtenir un résultat convenable. Suivant la longueur de la greffe, il faudra attendre entre six et quinze mois pour une récupération. Une greffe nerveuse permet d’obtenir au maximum un grade II à III selon l’échelle de House-Brackman (HB) (figure 5). Le facteur limitant est essentiellement l’âge du patient et le pronostic de la maladie de base. Dans ces cas défavorables, il faudra considérer une technique simple et immédiate, telle une suspension passive de la commissure labiale au moyen d’une bandelette de fascia lata ou de Goretex ou une myoplastie du muscle temporal (figure 6).
Figure 5

Greffe nerveuse

Réanimation faciale G après parotidectomie et greffe nerveuse au niveau de la deuxième portion mastoïdienne du nerf facial.
Figure 6

Myoplastie du muscle temporal gauche après parotidectomie

Paralysie faciale persistante à la suite d’une paralysie de Bell ou d’une fracture du rocher

Une prise en charge chirurgicale est indiquée en cas de paralysie faciale persistante de grade HB III ou supérieur si l’on n’observe pas de récupération au-delà de douze à quatorze mois. Dans cette situation, la plaque motrice est encore présente mais le nerf facial proximal n’est pas utilisable et la technique la plus souvent utilisée est l’anastomose XII-VII, dont les meilleurs résultats s’observent lorsqu’elle est réalisée dans les douze mois après l’apparition de la paralysie. Dans la majorité des cas, les résultats ne dépassent pas le grade HB III, qui peut être considéré comme un bon résultat (figure 7).2,3 Chez les patients de plus de 70 ans, une myoplastie du muscle temporal est à considérer.
Figure 7

Réanimation faciale G par une greffe XII-VII après une chirurgie de l’angle ponto-cérébelleux

Paralysie faciale après une chirurgie de l’angle ponto-cérébelleux

Dans cette situation, la partie proximale du nerf facial n’est plus fonctionnelle. Lorsque le nerf est sacrifié pendant l’intervention, on réalise immédiatement ou dans les dix jours une anastomose hypoglosso-faciale. Si le nerf n’a pas été coupé, un délai de douze mois s’impose avant une anastomose XII-VII. L’alternative chez les patients âgés est la myoplastie du muscle temporal.

Paralysie faciale de longue durée (> 3 ans) ou congénitale

Dans cette situation, la plaque motrice, le nerf proximal et le noyau du nerf facial ont dégénéré et ne sont plus utilisables. Trois techniques sont applicables suivant l’âge et la situation clinique :
  • une suspension passive ;
  • une myoplastie du muscle temporal ;
  • un transfert du muscle gracilis microanastomosé.
Cette dernière technique est relativement complexe et s’applique à des patients motivés puisqu’il faut attendre un an et demi avant de voir les premiers résultats. Elle est souvent réservée aux enfants et aux jeunes adultes.7,10-12 La myoplastie du muscle temporal est une bonne alternative chez les adultes même au-delà de 70 ans.
La paralysie faciale congénitale représente une situation particulière à cause de son impact sur le développement de l’enfant. En général, elle touche principalement les muscles élévateurs de la commissure labiale et affecte donc le sourire de l’enfant. L’occlusion palpébrale est en général possible. L’enfant peut bénéficier d’une réanimation faciale dès que l’on peut obtenir une collaboration, soit vers l’âge de cinq ans. La technique de choix est la greffe transfaciale suivie d’un transfert du muscle gracilis (figure 8). Grâce à ses facultés d’adaptation, l’enfant récupère une symétrie du sourire progressivement dans les six mois après le transfert du muscle. La finesse du muscle gracilis chez l’enfant permet de conserver la symétrie faciale. A l’âge adulte, le muscle est plus épais et une asymétrie de volume est souvent observée. Le syndrome de Moebius est une paralysie faciale congénitale avec une absence bilatérale du nerf facial. Dans ce cas, la réanimation au moyen du muscle gracilis se fait en un temps avec une réinnervation immédiate sur le nerf masséter homolatéral (branche du V).10
Figure 8

Réanimation d’une paralysie faciale congénitale D par un transfert de muscle gracilis

De bons résultats sont également observés avec le transfert du muscle temporal selon Labbé, avec l’avantage d’avoir un effet immédiat. Le désavantage est l’innervation du muscle par la branche motrice du nerf trijumeau, qui ne peut en principe reproduire les mouvements spontanés dépendant du VII. Cependant, grâce à la plasticité cérébrale chez l’enfant et le jeune adulte, on observe souvent des mouvements spontanés, probablement secondaires à de nouvelles connexions entre les noyaux du V et du VII controlatéral et au niveau cortical.12 Les résultats obtenus avec ces techniques correspondent à un grade HB IV.

Conclusion

La réhabilitation de la face paralysée reste un challenge pour le chirurgien. La restauration complète et symétrique des mouvements fins et spontanés n’est toujours pas possible, malgré un éventail de techniques microchirurgicales complexes. Les synkinésies et les mouvements de masses restent toujours un écueil qui sera peut-être maîtrisé grâce à un meilleur contrôle de la repousse nerveuse à un niveau moléculaire.

Implications pratiques

> Toute paralysie faciale, quelle que soit sa cause, doit bénéficier d’une prise en charge précoce par un physiothérapeute ou une logopédiste formés à une technique bien spécifique
> Une réanimation faciale chirurgicale doit être envisagée dans une paralysie faciale persistant après dix mois et doit être réalisée si possible dans les douze à quinze mois après sa survenue
> La paralysie faciale congénitale peut être traitée chirurgicalement dès l’âge de cinq ans